Film sur Arte à 20 h 55

TAXI TÉHÉRAN Bande Annnonce (2015)
Durée : 01:49

A ceux qui l’ont condamné à ne plus exercer son métier – réalisateur de cinéma –, ­Jafar Panahi fait mine d’offrir le cadeau de leurs rêves : le spectacle d’un cinéaste qui gagne sa vie comme chauffeur de taxi. C’est exactement ce que voulaient les autorités de Téhéran quand, en 2010, elles lui ont interdit ­jusqu’à nouvel ordre de réaliser des films ou d’écrire des scénarios : le dépouiller de son statut d’artiste.

Bien sûr, Taxi Téhéran, qui montre Jafar Panahi conduisant dans les rues de la capitale iranienne, est très exactement le contraire d’un acte de reddition. C’est une bordée de quolibets à l’endroit des censeurs, mais aussi un film d’une habileté cinématographique et d’une acuité politique hors du commun.

Fixant trois caméras discrètes mais visibles dans l’habitacle d’un taxi, le réalisateur a transformé une voiture de tourisme en studio mobile. Se succèdent sur sa banquette des personnages qui semblent, au premier abord, constituer un échantillon représentatif d’une société : les pauvres et les riches, le secteur formel et l’informel, les conservateurs et les contestataires, les hommes et les femmes.

Une scène du film iranien de et avec Jafar Panahi, « Taxi Téhéran ». / JAFAR PANAHI

Chaque passager se voit proposer sa dramaturgie, comique ou ­tragique. Par exemple : deux femmes d’un âge certain veulent à tout prix rapporter un poisson rouge jusqu’à la source où elles l’avaient pêché cinq ans plus tôt, convaincues qu’elles gagneront ainsi quelques années de vie supplémentaires. Ou bien une autre femme qui arrête le taxi de ­Panahi afin que celui-ci emmène son mari, blessé dans un accident du travail, jusqu’à l’hôpital. ­Pendant le trajet, l’homme, sentant sa fin prochaine, emprunte le téléphone portable du chauffeur cinéaste pour enregistrer en vidéo un testament en faveur de son épouse, afin que celle-ci ne soit pas lésée par sa belle-famille, qui la déteste.

On peut ainsi, à chaque ­séquence, cocher une petite croix en face des sujets de société : persistance de la superstition dans une société monothéiste ­rigoriste, problèmes liés à la minorité juridique de la femme dans le droit iranien… Ce ne serait déjà pas mal, puisque chacune de ces vignettes est mise en scène avec une fluidité étonnante et jouée avec un allant qui tend à remettre en question le statut d’amateur qui est, le cinéaste l’a juré, celui des interprètes.

EXTRAIT TAXI TEHERAN Niece VOST
Durée : 01:31

C’est, dans la chronologie du film, le premier indice de son ­propos central. Les images, leur pouvoir de représentation et de dissimulation, sont le carburant qui meut le Taxi de Panahi. La preuve de son bon droit que l’épouse éplorée réclamera au chauffeur, les DVD pirates que commercialise un vendeur à la sauvette et, surtout, le petit film que la nièce de Jafar Panahi doit réaliser dans le cadre de ses ­études sont les éléments d’une mosaïque.

A cette occasion s’engage un dialogue entre le cinéaste déchu et l’élève préadolescente. Le premier tente d’éclairer la seconde sur la toxicité mais aussi l’impuissance de la censure, pendant que l’autre se demande comment mettre en œuvre les commandements contradictoires du cinéma orthodoxe – qui doit représenter la réalité sans en montrer les ­côtés sombres.

Jafar Panahi est parvenu à se moquer des interdictions et à ­envoyer son film à Berlin, où il a reçu en 2015 l’Ours d’or. Montrant ainsi aux détenteurs du pouvoir de Téhéran comment les images se forment, s’assemblent et se propagent sans que jamais aucun fonctionnaire puisse s’en rendre tout à fait maître. Les seuls qui peuvent prétendre à ce pouvoir sont les artistes.

Taxi Téhéran, de et avec Jafar Panahi (Iran, 2015, 82 min).