Jacob Zuma a finalement démissionné, mercredi 14 février, poussé dehors par son propre parti, le Congrès national africain (ANC), au terme de longues tractations. Il traîne derrière lui une ribambelle de scandales qui ont dominé ses deux mandats et l’ont déjà mis sur le banc des accusés. Ses ennuis judiciaires ont toutes les chances de se poursuivre et de s’intensifier maintenant qu’il ne bénéficie plus ni du soutien de l’ANC ni de son immunité de président et qu’il ne peut plus interférer dans l’appareil policier et juridique.

S’il tient ses promesses, son successeur, Cyril Ramaphosa, ne lui sera d’aucun secours : le nouveau président a promis d’en finir avec la corruption qui gangrène le parti de Nelson Mandela. « Nous allons continuer à combattre la corruption et nous allons nous assurer que ceux qui sont corrompus et ont volé l’argent des pauvres soient jugés », a-t-il prévenu, début février, à l’occasion du centenaire de la naissance de « Madiba ».

Retour sur les principales affaires qui ont dominé l’ère Zuma et qui pourraient bien l’envoyer derrière les barreaux.

  • L’accusation de viol et la « douche anti-sida »

Avant d’accéder à la magistrature suprême, Jacob Zuma a été jugé pour viol, en 2006, alors qu’il était vice-président. Accusé par une jeune femme séropositive, fille de l’un de ses meilleurs amis, il a été blanchi au cours d’un procès retentissant. Le futur président, polygame revendiqué et coureur de jupons réputé, en avait choqué plus d’un lorsqu’il avait affirmé que sa méthode, pour éviter toute transmission du VIH après un rapport non protégé, était de « prendre une douche ». A l’époque, il présidait pourtant le Conseil national de lutte contre le sida. En décembre 2017, dans la course à sa succession, Cyril Ramaphosa a relancé la polémique en affirmant qu’il croyait la victime présumée.

  • Le marché d’armes et les 787 versements

Les faits remontent à 1999. Inculpé en 2006, Jacob Zuma est soupçonné d’avoir empoché des pots-de-vin sous la forme de 787 versements, pour favoriser les intérêts de l’entreprise française d’armement Thomson-CSF, devenue Thales, en Afrique du Sud. Le scandale lui a coûté la vice-présidence et son proche conseiller, Schabir Shaik, a été condamné à quinze ans de prison. A quelques jours de l’élection de 2009, un vice de forme entraîne cependant l’abandon de toutes les charges retenues contre Zuma, ce qui lui permet d’accéder à la présidence.

Au terme d’une bataille juridique acharnée de l’Alliance démocratique (DA), le principal parti d’opposition, la Cour suprême a ouvert la voie, en octobre 2017, à la tenue d’un nouveau procès pour corruption. Début février, un ancien avocat de Thomson-CSF a dévoilé que les présidents français Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avaient fait pression sur les Sud-Africains pour étouffer l’affaire. Pour Jacob Zuma, c’est le danger le plus immédiat maintenant qu’il n’est plus président.

  • Une piscine et un poulailler dans sa résidence privée

Tout comme il n’a « pas compris ce que le parti [lui] reprochait » lorsqu’il lui a demandé de démissionner, Jacob Zuma n’a pas vu ce qu’il y avait de mal à rénover sa résidence aux frais du contribuable. Fraîchement élu, le président a fait refaire sa demeure de Nkandla, dans son fief du Kwazulu-Natal, pour la bagatelle de 20 millions d’euros. Parmi les travaux figurent une piscine, un enclos pour le bétail et un poulailler, qu’il justifie comme étant « nécessaires » à sa sécurité. Malgré son entêtement, l’opposition a saisi la Cour constitutionnelle, qui a tranché : il a dû rembourser l’équivalent de 480 000 euros. Du pain bénit pour ses opposants, qui n’ont cessé de s’en servir pour tenter de le faire destituer.

  • Les frères Gupta et la « capture de l’Etat »

C’est certainement le scandale de trop, celui dont les médias locaux ont fait leurs choux gras ces derniers mois, au fil de multiples révélations, et celui qui a précipité la fin du règne de Jacob Zuma. Les liens sulfureux entre la riche famille d’origine indienne Gupta et le clan Zuma ont monopolisé l’attention durant la fin de son deuxième mandat.

L’affaire éclate en 2013 lorsqu’un avion transportant 200 convives pour un mariage organisé par les frères Gupta – Ajay, Atul et Tony – atterrit sur la base militaire de Waterkloof sans que personne ne sache qui en a donné l’autorisation. Rapidement, l’emprise de cette famille sur le clan Zuma éclate au grand jour. Influence sur les choix de ministres, pressions pour empocher des contrats publics, pots-de-vin avoisinant les centaines de millions d’euros : l’ampleur de la « capture de l’Etat » terrifie les Sud-Africains.

Fin 2016, un rapport explosif de la médiatrice de la République, Thuli Madonsela, dévoile leurs pratiques douteuses et demande la création d’une commission d’enquête. Après des mois de circonvolutions, Jacob Zuma y est contraint par la Cour constitutionnelle. Depuis, la justice s’est mise au travail. Mercredi, le jour de sa démission, la police a perquisitionné le quartier général des Gupta, à Johannesburg. Huit de leurs plus proches associés ont été arrêtés, tandis que l’étau se resserre autour des trois frères.

Jacob Zuma pourrait bientôt être entendu dans l’affaire. L’opposition s’est juré de faire traduire l’ancien président devant les tribunaux, coupable à ses yeux d’avoir perverti l’Etat et la Constitution pour son intérêt personnel.

Jacob Zuma : récit d’une chute
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