Le nouveau président sud-africain Cyril Ramaphosa, lors de sa prestation de serment, au Cap, le 15 février. | Mike Hutchings / AP

Editorial du « Monde ». Les scandales qui ont marqué les huit ans de Jacob Zuma à la tête de l’Afrique du Sud, ses ultimes menaces proférées avec l’énergie du désespoir alors que l’heure de sa chute approchait, ont presque éclipsé l’essentiel : la démocratie sud-africaine se révèle plus forte que les hommes qui la dirigent.

Celle-ci a eu finalement le dernier mot face à l’homme qui était censé l’incarner, alors qu’il avait préféré s’affranchir de ses règles. Le président Zuma a quitté le pouvoir, remplacé quelques heures plus tard par Cyril Ramaphosa, porteur désormais de l’espoir d’un grand nettoyage dans les affaires publiques.

Jacob Zuma a perdu la guerre avec la faction Ramaphosa au sein du Congrès national africain (ANC), une forme d’empoignade dont le parti est coutumier. C’est cette même organisation qu’il avait prise d’assaut en 2007 avant d’accéder à la présidence du pays deux ans plus tard, se faisant une joie de démettre sèchement de ses fonctions Thabo Mbeki, le successeur de Nelson Mandela.

Aujourd’hui, son tour est venu d’être remercié. Ce faisant, l’ANC se débarrasse d’un président devenu un boulet à l’approche des élections générales d’avril 2019. Lui, l’homme du peuple, qui se voulait proche des masses traditionnelles et rurales, loin des « petits malins de Noirs », cette élite et cette classe moyenne des villes, est aujourd’hui perçu comme le maître d’œuvre d’un pillage au détriment des plus modestes. Si les écoles et les centres de santé manquent d’argent, c’est en partie parce qu’une corruption d’Etat détourne leurs subsides.

Le courage d’une femme

La situation est devenue si préoccupante que l’ANC peut craindre de perdre les scrutins de 2019. Une première depuis l’instauration de la démocratie multiraciale en 1994. A présent, le parti doit essayer de contenir le flot d’électeurs qui ont l’intention de se détourner de lui. Dès lors, sacrifier Jacob Zuma, emblème de l’effondrement du capital moral du parti de Nelson Mandela, était devenu incontournable.

Certes, les abus avaient commencé bien avant son arrivée au pouvoir. Mais jamais avant lui la corruption n’avait atteint ce niveau. En réaction, les médias, des organisations de la société civile, la justice et des partis d’opposition ont fait preuve d’une opiniâtreté remarquable. Malgré les pressions, ils n’ont pas hésité à dénoncer les dérives du président. Et celles de son entourage, notamment les frères Gupta, engagés dans une opération dite de « capture d’Etat ».

Pour en triompher, il a fallu aussi le courage d’une femme : Thuli Madonsela. La médiatrice de la République a tenu bon pour maintenir l’indépendance d’une institution-clé. Elle a exposé en détail les travaux indécents – 20 millions d’euros payés sur les fonds publics – réalisés à la demeure de Jacob Zuma, à Nkandla, dans le Kwazulu-Natal. La Cour constitutionnelle avait ensuite condamné le président à rembourser une partie de la facture. Et ce n’est là que le premier acte des démêlés judiciaires qui vont désormais occuper l’ex-dirigeant.

Son départ contraint et forcé du pouvoir ne pourra pas effacer du jour au lendemain la misère en Afrique du Sud. Mais l’espoir renaît. Désormais, Cyril Ramaphosa va devoir s’attaquer franchement à la corruption, relancer l’économie, réduire les inégalités, recoller les morceaux d’une nation divisée et faire rayonner à nouveau ce pays-phare du continent… Un projet national que l’Afrique du Sud n’entendait plus dans la bouche de Jacob Zuma.