Lindsey Vonn à Garmisch-Partenkirchen (Allemagne), le 3  février.STEPHAN JANSEN/AFP / STEPHAN JANSEN / AFP

L’Amérique a peur. Elle qui visait à Pyeongchang la première place du tableau des médailles, pour la première fois depuis 1932 (Lake Placid, à domicile), a vécu une mauvaise journée, vendredi 16 février, avec les échecs de Nathan Chen en patinage (17e du programme court), de Lindsey Jacobellis au snowboardcross (la Française Julia Pereira de Sousa décroche l’argent) et de la chouchoute des médias américains, Mikaela Shiffrin : la jeune femme n’a terminé que quatrième du slalom, son épreuve favorite, au lendemain de son titre olympique en géant.

Avec seulement huit médailles dont cinq en or, les Américains ont pris un retard considérable sur les Allemands (9 titres). Mais une valeur sûre s’élance enfin samedi. La star de ces Jeux olympiques d’hiver, la seule dont la notoriété dépasse le cadre du sport. A 33 ans, Lindsey Vonn est sans conteste la plus grande skieuse de l’histoire, à la fois par l’empreinte laissée et le palmarès : 81 victoires en Coupe du monde dans les cinq disciplines, à cinq longueurs du Suédois Ingemar Stenmark. C’est pour le battre qu’elle continuera au moins une saison après les Jeux olympiques, aussi longtemps que ses genoux lui permettront de gagner. Sa trace dans l’histoire des Jeux est toutefois modeste : un titre olympique et une médaille de bronze à Vancouver, en 2010.

« Girl power » et Donald Trump

Pyeongchang est l’occasion pour elle « d’ajouter un point d’exclamation à [sa] carrière », en remportant le titre en descente, mercredi 21. L’Américaine se dit en forme et gonflée de confiance, et visera aussi une médaille au super-G, samedi 17, et au combiné dans une semaine, sur une piste qui lui convient à merveille.

Sans pour l’instant chausser une seule fois ses skis, Lindsey Vonn a déjà réussi à faire parler d’elle à Pyeongchang. Lors de sa conférence de presse d’introduction, devant des journalistes du monde entier, elle a mis en scène sa chienne Lucy, engendrant une avalanche de reprises médiatiques. Ses larmes à l’évocation de son grand-père, mort en novembre 2017, ont aussi fait les délices des télévisions américaines. Elle les a séchées avec de longs gants noirs, enfilés pour ne pas attraper un virus dans le centre de presse de ces Jeux olympiques. Lindsey Vonn a le sens du spectacle. Cela a toujours été le cas, depuis son avènement, il y a plus de dix ans. Il lui a permis d’être la skieuse la mieux payée du monde, sous contrat avec de multiples sponsors.

Elle est aussi la plus « scarifiée » et ses retours de blessure – cinq opérations entre 2006 à 2016 – font aujourd’hui sa légende, au-delà de son palmarès. Une publicité diffusée par NBC durant le Super Bowl, en amont des Jeux, montre ses chutes, ses cicatrices et son travail physique sur fond de « Girl on Fire », que la chanteuse Alicia Keys revendique comme un hymne féministe.

« Après ma victoire aux Jeux olympiques de Vancouver, je n’avais pas confiance en moi. Je défilais sur les tapis rouges, devant les photographes, et j’ai réalisé que j’étais bien plus massive que tout le monde. J’avais l’impression de devoir perdre du poids pour me conformer à l’image de l’athlète américaine filiforme. »

Selon un schéma tristement connu des sportives de haut niveau, ses premiers succès ont été attribués à son entraîneur et mari, l’ancien skieur Thomas Vonn. Un homme de neuf ans son aîné, rencontré alors qu’elle était encore mineure, à l’emprise énorme. Elle l’a quitté sans qu’il s’y attende, en 2011. Elle a ensuite ouvert sa vie privée au regard des paparazzis, notamment durant ses deux années comme concubine du golfeur Tiger Woods, jusqu’à son Tweet du 14 février dans laquelle la célibataire disait chercher un compagnon pour la Saint-Valentin. Elle l’a fait en dépit des remarques qui y voyaient une façon d’attirer l’attention sur autre chose que ses performances sportives : « Ma carapace s’est endurcie au fil des années et plus aucune méchanceté sur les réseaux sociaux ne m’atteint. »

La blonde du Minnesota, aux cheveux interminables, toujours impeccablement apprêtée et si souvent dévêtue dans les magazines, n’était pas a priori l’archétype de la défenseure de la cause féministe. C’est pourtant elle qui, aujourd’hui, défend le girl power. La promotion de son livre de conseils nutritifs et d’entraînement (Strong is the New Beautiful, Marabout, 2017), a été l’occasion de montrer son corps musculeux et scarifié dans les magazines, afin, selon elle, de faire changer les canons de beauté. « Après ma victoire aux Jeux olympiques de Vancouver, je n’avais pas confiance en moi, écrit-elle. Je défilais sur les tapis rouges, devant les photographes, et j’ai réalisé que j’étais bien plus massive que tout le monde. J’avais l’impression de devoir perdre du poids pour me conformer à l’image de l’athlète américaine filiforme. » ­Interrogée récemment par le magazine Outside sur son inspiratrice, Lindsey Vonn a répondu Billie Jean King, championne des droits des femmes dans le sport : « Elle a fait des choses incroyables ; le fait de jouer contre un homme est la chose la plus admirable, la plus grande que j’ai vue de la part d’une femme. »

Lindsey Vonn en conférence de presse, le 9 février à Pyeongchang. / J. David Ake / AP

Si son propre combat pour disputer une descente avec les hommes a pu sembler, en 2013, un coup publicitaire, elle semble en avoir fait une question de principe. Plus grande et musculeuse que ses adversaires féminines, Lindsey Vonn descend depuis 2009 avec des skis d’hommes, s’entraîne avec les Norvégiens et semble persuadée pouvoir faire bonne figure face à eux sur la descente de Lake Louise, son jardin. Lorsque la Fédération internationale lui a proposé d’ouvrir une descente masculine, sans chronométrer son temps, elle a évidemment décliné. Ses absences prolongées du circuit depuis trois ans lui ont permis de lancer sa fondation, qui vise à « donner la force à plus de filles de suivre leurs rêves ». Le mouvement, dirigé par sa sœur Laura, finance les projets sportifs et éducatifs d’adolescentes et a pour devise : « Donner confiance aux femmes du monde entier pour déplacer des montagnes. »

En bonne logique, elle a déjà annoncé qu’en cas de titre olympique, elle répondrait négativement à une invitation de Donald Trump à la Maison Blanche : « J’espère représenter le peuple américain et non le président. (…) Je veux bien représenter notre pays. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de monde dans le gouvernement actuel qui le fasse. » Les Etats-Unis, que ses propos ont divisés, lui pardonneront si elle fait résonner le Star Spangled Banner à Pyeongchang.