Tribune. Lors de ses voyages en Afrique (Mali, Maroc, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana et Algérie, puis Tunisie et Sénégal), le président Emmanuel Macron a appelé à une modernisation des relations de la France avec le continent, articulée autour de priorités claires – énergie, infrastructures et éducation notamment – et portée par des dynamiques nouvelles (jeunesse, société civile et secteur privé, entre autres), afin d’optimiser les effets de l’aide publique au développement (APD). Nous ne pouvons que nous féliciter de cette nouvelle ambition, et en particulier de l’importance qu’elle accorde à la diaspora.

Depuis plusieurs années, il y a en effet une véritable prise de conscience du potentiel financier des diasporas vers leurs pays d’origine. Il faut dire que les montants sont colossaux, à échelle systémique et macroéconomique. Selon la Banque mondiale, ces transferts vers l’Afrique subsaharienne ont représenté 33 milliards de dollars en 2016 (environ 31 milliards d’euros à l’époque) et près de 60,5 milliards de dollars pour l’ensemble du continent.

Cette manne de la diaspora ne cesse de croître, à tel point qu’elle dépasse désormais l’APD. Dans une récente étude, les Nations unies estiment que la diaspora africaine envoie 36 % d’épargne en plus qu’en 2007. En termes de montant reçu, l’Afrique est le troisième récipiendaire, derrière l’Asie et l’Amérique latine. Néanmoins, il y a en Afrique deux fois plus de bénéficiaires qu’en Amérique latine, les « tickets » étant plus petits.

Une solidarité essentielle dans certains pays

Pour les pays occidentaux, ces transferts ne constituent pas un manque à gagner significatif, représentant en moyenne seulement 0,3 % de leur PIB. Pour les pays africains, c’est en revanche un enjeu crucial pour faire vivre une partie de leurs habitants. Parmi les 71 pays dans le monde où les transferts des migrants représentent plus de 3 % du PIB, 19 sont africains. Cette solidarité de la diaspora est essentielle au Liberia, où elle représente 31 % du PIB, aux Comores (20 %) ou au Sénégal (14 %).

Ces transferts de fonds sont utilisés avant tout pour répondre à des besoins de financement de la vie courante. Les deux tiers servent ainsi à l’achat de biens de consommation, souvent alimentaires, et au paiement des frais de scolarité et de santé. Mais si cette ressource répond à de vrais problèmes du quotidien, elle ne vient pas vraiment irriguer les circuits formels de production et de création de richesses. Les paysans, les patrons de PME ou les artisans n’en profitent guère.

Les Etats africains peuvent mettre en place des « politiques d’accueil » plus ambitieuses. Certains pays, comme Israël et l’Inde, sont en pointe dans ce domaine, en émettant des bons de la diaspora, mis en vente et garantis par des institutions publiques, qui servent ensuite à redresser leur balance de paiement et à financer des infrastructures. L’Afrique y aurait tout intérêt pour amplifier et tirer profit du phénomène de ce que les anglophones appellent « repatriation », à savoir le retour sur le continent des enfants de la diaspora.

Selon une étude d’Inspire Afrika, les deux raisons principales qui motivent ce retour sont la volonté d’avoir un impact positif sur le continent et le fait d’y voir de nouvelles opportunités professionnelles. Ainsi, de nombreuses success stories entrepreneuriales de « repat » fleurissent un peu partout. Ce phénomène a d’abord commencé au Nigeria et au Ghana, avec des jeunes cadres souvent en provenance de Londres. Il s’étend à présent à l’Afrique francophone, avec des jeunes originaires de la région parisienne, de la banlieue lyonnaise, de Marseille… qui occupent très vite des postes à responsabilités ou qui créent leur entreprise.

Repenser le développement du continent

Quelques exemples : la société Eden Tree, un des plus grands fournisseurs de fruits et légumes frais au Ghana, a été fondée par une « banquière londonienne » ; ITG Store, une entreprise de gestion informatique en pleine croissance au Cameroun, a été fondée par un ancien cadre d’un groupe français. Voilà pour les plus audacieux. Et puis il y a tous les autres qui ont envie d’investir, d’aider, de soutenir… depuis la France.

Le Club Efficience, qui incarne cette diaspora d’entrepreneurs, a constaté une forte demande. Pour beaucoup, ils appartiennent à la classe moyenne. Ils ont donc de l’épargne et cherchent désespérément des véhicules d’investissement sécurisés, tant au niveau juridique que financier. Plus de 45 % d’entre eux sont prêts à investir dans des entreprises africaines des sommes variant entre 2 000 et 3 500 euros par an. Il va leur être proposé en 2018 d’en faire la ressource d’un nouveau type de fonds d’investissement à fort impact social et productif.

C’est une occasion unique de repenser le développement du continent en impliquant davantage sa diaspora et en investissant directement dans les entreprises africaines, qui constituent très certainement une bonne réponse aux défis migratoires et de l’emploi. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé la création d’un fonds destiné aux PME africaines doté de 1 milliard d’euros, la France peut jouer ici un rôle important dans cette transformation de flux financiers en véritables véhicules d’investissements durables et performants.

Plutôt que d’entretenir le maintien d’une économie de la subsistance, voire de la débrouille, transformer ces transferts de fonds en capitaux structurés pour l’accompagnement d’entreprises africaines dynamiserait la création de richesses et d’emplois en Afrique.

En mettant en place le Conseil présidentiel pour l’Afrique, composé principalement de binationaux, Emmanuel Macron a envoyé un signal fort à la diaspora africaine sur sa volonté de l’intégrer dans l’élaboration des relations et du récit entre France et Afrique. L’épargne de cette même diaspora y ajoute le puissant levier du capital.

Elie Nkamgueu, président du Club Efficience, Jean-Michel Severino, président d’Investisseurs & Partenaires, et Lionel Zinsou, ancien premier ministre du Bénin et président de Terra Nova.