Le décor ne doit rien au hasard. C’est dans une usine L’Oréal, à Lassigny (Oise), qu’Edouard Philippe et son ministre de l’économie, Bruno Le Maire, ont choisi de dévoiler, vendredi 16 février, leurs projets pour mieux protéger le capital des entreprises françaises sensibles.

Le plan prendra des mois à être mis en place. Mais dès à présent, le gouvernement tient à faire passer le message : « Pas touche aux entreprises stratégiques ! » Donc : « Pas touche à L’Oréal ! » « L’Etat français est attaché à cette société, sa localisation en France, l’évolution de son actionnariat », glisse-t-on à Matignon. Les prédateurs qui s’intéresseraient au numéro un mondial des cosmétiques sont prévenus : ils trouveront l’exécutif sur leur passage.

Le sujet ne relève pas de la pure théorie. Après la mort de Liliane Bettencourt, Nestlé a décidé de ne pas reconduire le pacte le liant à la famille fondatrice du groupe L’Oréal. A partir du 21 mars, le géant suisse pourra vendre ses 23 % en toute liberté. A qui ? Telle est la question que se posent les pouvoirs publics avec une pointe d’anxiété. Au-delà de L’Oréal, Emmanuel Macron et ses ministres s’inquiètent d’une possible vague d’acquisitions de groupes français.

Dispositif de veille

Les grandes entreprises mondiales regorgent de liquidités, et la réforme fiscale de Donald Trump va encore accentuer le phénomène aux Etats-Unis, alors que le tissu industriel français demeure fragile. « Danone, sous-valorisé, pourrait constituer une belle cible pour Coca ou Pepsi, peut-être alliés à Nestlé », avance un banquier.

Bien sûr, la politique menée par Emmanuel Macron vise avant tout à attirer des investissements étrangers. Mais « ouverture ne veut pas dire pillage de nos technologies, de nos compétences, de nos savoir-faire », argumentait Bruno Le Maire en janvier. Inciter les investisseurs à choisir l’Hexagone et « en même temps » les dissuader de s’y emparer de certaines pépites : tel est le double discours, à la fois libéral et protectionniste, qu’entend tenir le gouvernement.

Au niveau européen, cette doctrine a conduit la France à demander à la Commission européenne de préparer un règlement sur les investissements étrangers. Au niveau national, elle a décidé le gouvernement à renforcer son arsenal. Son plan en quatre points devrait trouver sa traduction juridique dans la prochaine loi « Pacte » pour la croissance et les entreprises.

Premier axe : l’Etat veut améliorer son dispositif de veille, pour ne pas être pris au dépourvu par une OPA surprise. Une liste d’entreprises justifiant une vigilance particulière va être établie. Ces sujets seront aussi étudiés chaque mois par le Conseil de défense et de sécurité nationale, un mini-conseil des ministres dont les attributions seront élargies à l’économie.

Onze activités sous contrôle

Deuxième point : la liste des secteurs dans lesquels l’Etat peut bloquer un investissement étranger qui ne lui convient pas va être allongée. Depuis 2005, une autorisation est déjà nécessaire pour onze activités liées à la défense et à la sécurité.

En 2014, en pleine bataille pour le contrôle d’Alstom, le ministre Arnaud Montebourg y avait ajouté l’eau, la santé, l’énergie, les transports et les télécommunications. Au total, une centaine de dossiers sont ainsi passés au crible chaque année. Edouard Philippe compte étendre le dispositif au stockage de données numériques, à l’intelligence artificielle, aux nanotechnologies, aux infrastructures financières et à la robotique.

L’Etat veut également mieux suivre les engagements pris par les investisseurs étrangers lorsqu’ils sont autorisés à réaliser l’opération qu’ils souhaitaient. Réalisent-ils les investissements prévus, tiennent-ils parole en matière d’emploi ? Le cas de General Electric après l’achat d’Alstom a suscité le débat.

Matignon veut pouvoir faire appel à des audits extérieurs pour plus d’efficacité. Et en cas de non-respect des engagements, le gouvernement compte élargir la palette des sanctions, par exemple en suspendant les droits de vote du groupe étranger dans la société concernée. Aujourd’hui, les seules sanctions possibles sont très massives (annulation de l’opération ou énorme amende), si bien qu’elles ne sont jamais utilisées.

Droit de veto

Le troisième volet du plan Philippe consiste à faciliter l’introduction de « golden shares » lors des privatisations. Tout en réduisant sa part du capital, l’Etat peut, grâce à ces actions spécifiques, conserver des pouvoirs particuliers, par exemple un droit de veto sur l’entrée d’un actionnaire non désiré ou la vente de filiales stratégiques.

Ce dispositif existe déjà dans des groupes tels Thales ou Nexter Systems, mais la justice européenne a considéré qu’il constituait une restriction à la libre circulation des capitaux, et l’a strictement encadré. Alors qu’il envisage de céder des titres dans une série d’entreprises (Engie, Safran, ADP, etc.), le gouvernement veut pouvoir disposer de façon sûre de ces « goldens shares ».

Dernier point-clé du projet : en ultime recours, quand une entreprise est attaquée par un investisseur hostile, l’Etat compte faire monter au créneau BPI France, qui pourrait alors prendre une participation minime, mais « suffisante pour faire peur ». La banque publique se prépare à mobiliser jusqu’à 3 milliards d’euros. Cela lui permettrait d’acheter, par exemple, 3 % de L’Oréal ou 7 % de Danone. Pas sûr que cela suffise face à un acquéreur étranger riche et déterminé.