Des migrants le long du canal Saint-Martin, le 15 février 2018. / GONZALO FUENTES / REUTERS

Ce n’est pas tous les jours qu’il y a match au Conseil d’Etat ! Vendredi 16 février, pourtant, durant trois heures, le contentieux qui oppose l’Etat à vingt-huit associations à propos de la circulaire Collomb du 12 décembre s’est transformé en une joute oratoire sous les dorures de la plus haute juridiction administrative. Les lustres n’ont pas tremblé et les tentures murales ont absorbé les éclats de voix durant ce match en double. Le juge des référés, Bernard Stirn, a, lui-même, rapidement jeté l’éponge, se transformant d’arbitre en spectateur qui compte les points et enregistre les balles de set.

A sa droite, le duo Spinosi-Sureau, deux avocats de haute volée représentant les vingt-huit associations requérantes, a réussi à déstabiliser les deux représentants de l’Etat. C’est Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui était venu défendre ce texte au côté de la juriste du ministère de l’intérieur, Pascale Léglise.

Une lourde tâche que la défense de cette circulaire censée autoriser les agents de l’Etat à entrer dans des centres d’hébergement d’urgence pour y contrôler la situation administrative des personnes hébergées. Rebaptisées « circulaire Collomb », les quelques pages peu précises, donc très inquiétantes, ont suscité un profond malaise dans le monde associatif, et au-delà, depuis leur publication, le 12 décembre 2017. Le Défenseur des droits, qui était représenté à l’audience, a même demandé au gouvernement le retrait du texte à l’heure où les associations attaquaient sa légalité.

Confusion

Ce texte veut en effet réorienter les personnes hébergées selon leur situation administrative. Ce que l’Etat traduit par une avancée pour certains publics qui seraient oubliés dans les hôtels sociaux, et que les associations flairent très dangereux pour beaucoup d’autres. En effet, les associations estiment à l’unisson qu’il s’agit de faire sortir de ce dispositif les personnes étrangères en situation irrégulière à l’issue d’une évaluation effectuée par une équipe mobile de représentants de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et de la préfecture, pour les renvoyer. Or, « la nouveauté est d’aller chercher les sans-papiers en centre d’hébergement pour les assigner à résidence ou en centres de rétention administrative », a résumé la représentante du Défenseur des droits.

Les associations considèrent que ce texte est une « remise en cause des missions d’aide sociale », comme l’a affirmé le directeur de la Fédération des acteurs de solidarité (FAS), Florent Gueguen, présent lui aussi à l’audience au côté de Me Spinosi et de Me Sureau. Le gouvernement, lui, a plaidé qu’il s’agissait d’un moyen d’informer les personnes de leurs droits. Et, comme a ironisé Me Sureau, « c’est un peu comme si l’Etat devait voler au secours des migrants pris en otage par les associations »… Le débat, qui aurait dû permettre de savoir s’il y avait urgence à délibérer en référé de ce texte et si les agents de l’OFII étaient autorisés à pénétrer dans ces lieux, que les associations ont présentés comme des espaces privés, a abouti à une certaine confusion ou n’a en tout cas pas permis de comprendre si les parties communes d’un foyer d’hébergement pouvaient être considérées comme un lieu privé ou si ce côté privatif s’arrêtait aux chambres.

Difficile en définitive de savoir si les gestionnaires des centres peuvent refuser ou non la venue d’équipes mobiles. Difficile de comprendre comment le fait de déplacer des étrangers allait « créer les places manquantes pour l’hébergement », mais l’audience du jour a eu d’autres vertus.

« Les paris étaient truqués »

Pourtant, les trois heures de débat à bâton rompu ont été révélatrices. Elles ont montré que l’Etat n’avait toujours pas digéré d’avoir été condamné par le même Conseil d’Etat en juillet 2017 à assurer un minimum de dignité aux migrants de Calais. Mme Léglise l’a à plusieurs reprises rappelé aux juges comme aux associations.

Et, finalement, quelle que soit la décision du juge, cette circulaire ressort affaiblie de l’audience et de tout cet épisode de contestation. Les représentants de l’Etat ont rappelé ce vendredi que des consignes avaient été données aux préfets. « Si certains préfets ont pu croire qu’il fallait demander des listes, ils ont été rappelés à l’ordre », a déclaré la juriste de la Place Beauvau, ajoutant que cela avait été fait lors d’une visioconférence entre le ministre et les préfets.

Et puis, un nouveau texte — que Mme Léglise a brandi à l’audience en refusant de le verser au dossier — est en cours d’écriture. Il viendra éclairer le texte du 12 décembre, que le gouvernement ne veut pas retirer pour ne pas perdre la face, mais qui a été très contre-productif depuis la mi-décembre… Ce qui a fait dire à un observateur que « l’après-midi au Conseil d’Etat a été agréable », mais que « les paris étaient truqués et l’issue du match décidée avant le début ».