« Il faut faire confiance aux jeunes ! » Il ne s’agit pas d’une requête, encore moins une supplique, mais d’un conseil qu’adresse au gouvernement Andreas Christin, 18 ans, élève de terminale en sciences et technologies du management et de la gestion et coprésident de la Fédération des maisons des lycéens. Le jeune homme répond au président de la République, Emmanuel Macron, qui a réaffirmé, mardi 13 février, que son quinquennat serait celui d’un nouveau « service obligatoire, ouvert aux femmes et aux hommes ». Chaque jeune Français devra s’engager plusieurs mois au service des autres, de la nation. « Mais peut-on parler d’engagement si c’est une obligation ?, interroge Andreas Christin. Il ne faut pas braquer sa jeunesse. »

La mise au point présidentielle, sur un de ses engagements de campagne, est venue clore une série de dissonances sur le sujet au sein de l’exécutif. Le 9 février, Florence Parly, la ministre des armées, avait décrit, au micro de France Inter, « un service qui probablement n’aurait pas un caractère obligatoire ». Une position infirmée deux jours plus tard, dimanche 11 février, par le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, puis encore le 13 février par le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux : le futur « service » sera bien « national, obligatoire, universel », a-t-il martelé.

« Politique infantilisante »

« Lorsqu’on est un citoyen, on n’a pas seulement des droits mais on a aussi des devoirs, et donner un peu d’engagement a beaucoup de sens », a également déclaré le chef de l’Etat. Le service national serait en quelque sorte la monnaie, que chaque jeune citoyen devra rendre, pour le bien qu’il a reçu de la nation.

« Avoir un regard aussi paternaliste sur la jeunesse, c’est surprenant de la part d’Emmanuel Macron, un président qu’on croyait moins condescendant vis-à-vis des moins de 20 ans », réagit Claire Thoury, déléguée générale d’Animafac, réseau d’associations étudiantes, qui est un peu tombée des nues en découvrant l’intervention du président.

Comme elle, l’ensemble des élus étudiants, lycéens et représentants de la jeunesse interrogés s’étonnent de la volonté du gouvernement de vouloir fusionner la notion « d’engagement » avec celle « d’obligation ». Lilâ Le Bas, présidente de l’UNEF, syndicat étudiant, reconnaît avoir été surprise par « le caractère obligatoire » du service national que projette le gouvernement. « Cela fait partie de la politique infantilisante d’Emmanuel Macron, qui veut imposer aux jeunes leur orientation par sa réforme de l’université et maintenant un service obligatoire. Nous nous y opposons et nous appellerons les jeunes à se mobiliser contre », avertit la syndicaliste.

Un engagement différent

Ce projet serait l’illustration d’une « incompréhension intergénérationnelle, estime également Claire Thoury. Il est possible de défendre des causes et de s’investir pour la communauté par du bénévolat ou en adaptant son mode de vie à ses valeurs, par exemple l’écologie. » Jimmy Losfeld, président de la FAGE, premier syndicat étudiant, abonde : « Les jeunes s’engagent, mais différemment de leurs aînés. Si leur adhésion à des vieux partis politiques ou à des vieux syndicats s’essouffle, sur le terrain social, ils sont présents. »

Tordre le bras à la jeunesse pour lui faire intégrer des missions citoyennes, « c’est donner le sentiment qu’ils ne sont pas assez patriotes, qu’ils ne font pas assez bien, qu’il faut leur apprendre à faire mieux. C’est une erreur car, dans les faits, ils s’engagent juste différemment », poursuit Claire Thoury.

Les moins de 20 ans ont-ils besoin de leçons de fraternité ou de stages de citoyenneté auxquels n’ont pas été convoqués leurs aînés ? « La jeunesse n’est pas individualiste, c’est notre société qui l’est devenue. Et les récents événements qui ont frappé notre pays ont mis en exergue le besoin de se retrouver », répond Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées, en charge du futur service national universel. Aux jeunes de montrer l’exemple, donc.

Déjà en 2008, Luc Ferry, philosophe et ancien ministre de l’éducation nationale, écrivait dans un rapport sur la mise en place d’un service civique : « L’obligation [le rapport rendait compte de plusieurs hypothèses, dont celle-ci] va tuer le bénévolat à cause, justement, de la contradiction entre don et contrainte, engagement désintéressé et obligation imposée. Il serait irréaliste, même aux yeux des partisans les plus résolus de l’obligation universelle, de procéder d’un seul coup à l’extension d’un dispositif contraignant à toute une classe d’âge. » Dix ans plus tard, la problématique reste la même.

Un service obligatoire conforme à la Constitution ?

Le projet de service national universel (SNU) pourrait-il se heurter à un argument de constitutionnalité en raison de son caractère obligatoire ? La question du volontariat ou de l’obligation a déjà été posée par Julien Blanchet et Jean-François Serres, dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental sur le service civique publié en 2017. Selon le juriste Guy Carcassonne, cité dans ce rapport (et décédé en 2013), « la Constitution n’autorise le législateur à disposer de la personne ou du bien des citoyens que dans un certain nombre de cas » : la défense nationale, les obligations fiscales et l’instruction obligatoire.

Par conséquent, quelle sera la part relevant de la défense nationale dans le futur SNU ? Ce point n’est pas arbitré par le gouvernement. Le rapport sur le service national commandé par Emmanuel Macron à un groupe de travail sera remis le 30 avril et précisera les modalités techniques, financières et juridiques, a précisé jeudi 15 février Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement.

Selon Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées, en charge du service national universel, interrogée jeudi lors d’une rencontre avec la presse, la conformité ou non avec la Constitution « n’a rien de rédhibitoire ». Autrement dit, la Constitution est modifiable, et le SNU se fera.