Teodora del Carmen Vasquez a été libérée le 15 février après avoir passé 11 ans en prison pour une fausse couche, au Salvador. / JOSE CABEZAS / REUTERS

La libération de la Salvadorienne Teodora Vasquez, condamnée à 30 ans de prison en 2008 pour une fausse couche qualifiée « d’homicide aggravé » par la justice, a relancé le débat sur les législations anti-avortement draconiennes en Amérique latine. Teodora Vasquez a passé dix ans et sept mois derrière les barreaux. Elle a quitté la prison pour femmes d’Ilopango, à 11 kilomètres à l’est de San Salvador, jeudi 15 février après que le Tribunal suprême eut décidé de commuer sa peine « pour des raisons de justice, d’équité et de caractère juridique ».

En décembre dernier, un tribunal de San Salvador avait confirmé sa condamnation. La Cour suprême n’a pas reconnu son innocence mais a jugé « que les preuves scientifiques ne permettaient pas de déterminer qu’il y ait eu une action volontaire conduisant à la mort de la créature en gestation ».

Accusée d’avoir tué

Teodora Vasquez était cuisinière au lycée canadien de San Salvador. Le 13 juillet 2007, enceinte de neuf mois, elle a ressenti de vives douleurs à son travail et a tenté d’appeler à plusieurs reprises le 911, le service des urgences, sans obtenir de réponse. Elle s’est rendue aux toilettes où elle s’est évanouie. Lorsque la police, alertée par un employé du lycée, est arrivée, elle gisait inconsciente au milieu d’une mare de sang avec son bébé mort-né.

Elle fut immédiatement arrêtée et accusée d’avoir tué le nouveau-né sur la base de rapports d’autopsie contestés par ses avocats et plusieurs organisations de la société civile. Teodora, qui avait un fils de quatre ans au moment de son arrestation, n’a pu le voir que sept fois durant les dix années de son incarcération.

« La libération de Teodora est un pas important, mais il est insuffisant car il ne reconnaît pas son innocence », a souligné Morena Herrera, animatrice du regroupement citoyen pour la dépénalisation de l’avortement. Selon cette féministe, ancienne guérillera lors de la guerre civile des années 1980, « il est temps d’en finir avec cette situation de criminalisation des femmes ».

Règles les plus strictes

En avril 1997, une réforme pénale a interdit toute forme d’avortement au Salvador, y compris en cas de viol, lorsque la vie de la mère est en danger ou quand le fœtus n’a aucune chance de survie. Ces trois exceptions étaient acceptées avant la réforme. En février 1999, un vote majoritaire des députés, y compris 15 des 27 représentants du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN-ancienne guérilla) a donné une force constitutionnelle à cette interdiction totale de l’avortement.

La peine prévue en cas d’avortement est de deux à huit ans de prison.

Les tribunaux qualifient fréquemment les avortements « d’homicides aggravés », passibles de 30 à 50 ans de prison. En novembre 2016, la députée Lorena Peña, du FMLN, a présenté une proposition de loi pour dépénaliser l’avortement en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou pour la survie du fœtus. Cette initiative n’a pas été adoptée et un député de l’opposition de droite a au contraire proposé d’augmenter les peines à 50 ans de prison.

27 femmes en prison

A sa sortie de prison, Teodora Vasquez s’est dite déterminée à « poursuivre la lutte » pour obtenir la rapide libération de treize femmes condamnées dans les mêmes circonstances qu’elle. Selon Amnesty International, il reste encore au moins vingt-sept femmes emprisonnées au Salvador en application de la loi pénalisant l’avortement.

« Il est encourageant de voir Teodora sortir de prison, où elle n’aurait jamais du être, mais le Salvador est encore loin d’assurer pleinement les droits des femmes et des filles », a réagi Erika Guevara-Rosas, la directrice d’Amnesty International pour les Amériques. « Les autorités du Salvador doivent urgemment abolir cette interdiction aberrante de l’avortement qui a créé un contexte de discrimination, de souffrance et d’injustice », a-t-elle ajouté.

Comme le Salvador, trois autres pays de la région interdisent toute forme d’avortement : le Honduras, le Nicaragua et la République dominicaine. Les puissantes églises, catholique et protestantes, s’opposent à toute forme d’assouplissement en dépit des données sur la mortalité des femmes et sur le rôle de la prohibition de l’avortement et de l’éducation sexuelle dans la perpétuation de l’extrême pauvreté chez les femmes.

Les plus aisées peuvent se rendre à l’étranger. Pour les plus pauvres, les interventions sont souvent dangereuses, sans suivi médical. Dans les pays où la prohibition est totale, s’est développé un marché noir du misoprostol, un médicament contre les ulcères, qui est utilisé sans précaution à des fins abortives. Le comprimé, qui vaut 30 centimes de dollar, est vendu cent fois plus cher sous le manteau au Salvador.