La ministre de la défense française, Florence Parly, et son homologue allemande, Ursula von der Leyen, au siège de l’OTAN, à Bruxelles, le 15 février. / JOHN THYS / AFP

Officiellement, tout va pour le mieux entre Paris et Berlin sur les questions de défense. Tel est en tout cas le message que souhaitaient faire passer Florence Parly et Ursula von der Leyen, vendredi 16 février, à Munich. Invitées à ouvrir la 54e conférence annuelle sur la sécurité, qui se tient jusqu’à dimanche dans la capitale bavaroise, la ministre française des forces armées et son homologue allemande chargée de la défense pouvaient difficilement en faire plus pour se montrer à l’unisson.

« Nous avons le Rhin entre nous, mais le Rhin est un fleuve, ce n’est plus une véritable frontière », s’est ainsi enflammée Mme Parly à l’adresse de sa « chère Ursula », avant d’assurer qu’il n’y a pas « deux nations plus intégrées » que la France et l’Allemagne.

« Nous avons une brigade commune, des avions communs, des hélicoptères communs, et [lors du conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet 2017] nous avons décidé que nous aurions demain aussi des drones communs, des canons communs, des avions de chasse communs », a ajouté la ministre française, promettant « une intensification encore plus grande de ce partenariat dans les prochains mois ».

« L’Allemagne et la France sont prêtes à faire progresser ensemble le projet européen, et nous invitons tous les Européens à aller de l’avant avec nous », a lancé de son côté Mme von der Leyen, précisant qu’elle souhaitait que l’Europe, pour se défendre, puisse « se tenir sur ses propres jambes ». Une adresse clairement destinée à certaines personnalités présentes dans la salle, comme le secrétaire américain à la défense, James Mattis, ou le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg. Mme Parly n’a pas dit autre chose en revendiquant elle aussi pour l’Europe « une autonomie stratégique » qui n’oblige pas « les Etats-Unis à venir à [son] chevet ».

Cette belle démonstration d’unité ne doit cependant pas masquer l’essentiel : la persistance de réelles divergences entre Paris et Berlin. Or celles-ci ne sont aucunement levées par le « contrat de coalition » signé entre les conservateurs (CDU-CSU) et les sociaux-démocrates (SPD) allemands, le 7 février.

La Bundeswher dans un état déplorable

« L’accord reste dans un flou artistique volontaire sur les sujets de défense », explique Barbara Kunz, de l’Institut français des relations internationales (IFRI). « La réponse de Berlin aux propositions de M. Macron sur la défense est très prudente, et on ne voit pas ce qui pourrait lever les désaccords ou les crispations qui existent entre la France et l’Allemagne sur ces sujets », ajoute Christian Mölling, du Conseil allemand des relations internationales (DGAP).

Trois points, en particulier, posent problème. L’état de l’armée allemande, d’abord. L’accord de coalition promet certes de « renforcer la Bundeswehr ». Mais l’augmentation budgétaire prévue (de 38,75 milliards d’euros en 2018 à 42,65 milliards en 2021) est limitée.

« La vraie politique de défense allemande reste l’OTAN », selon Barbara Kunz, de l’Institut français des relations internationales

Si la trajectoire est respectée, le budget allemand de la défense représenterait 1,5 % du produit intérieur brut (PIB) du pays en 2021, contre 1,2 % aujourd’hui, loin de l’objectif de 2 % fixé par l’OTAN à ses membres d’ici à 2024. Or s’il est entendu que celui-ci ne peut être atteint dans un si bref délai, le fait qu’il ne soit pas rappelé explicitement – une exigence du SPD qui avait contesté le bien-fondé de cet objectif des 2 % pendant la campagne des législatives – jette un doute sur la volonté du prochain gouvernement allemand d’investir en faveur d’une Bundeswehr dans un état déplorable, dont aucun des six sous-marins n’est opérationnel et dont seuls 105 chars sur 244 sont utilisables…

En outre, le contrat de coalition ne permet pas de savoir à quoi ressemblera la future armée allemande. « On attend depuis des mois le plan de la Bundeswehr. Or celui-ci s’annonce comme un document à 110 % otanien, marquant un net retour à l’idée de défense territoriale. La vraie politique de défense allemande reste l’OTAN », analyse Mme Kunz.

Gommer tout accent martial

Dans cette optique, une vraie divergence de fond demeure avec la France. « Là où Macron souhaite une initiative européenne d’intervention autour d’un noyau dur de quelques Etats, l’Allemagne préfère rester dans le cadre de la coopération structurée permanente pour augmenter les capacités militaires de l’Union européenne [UE]. Dans ce domaine, le fossé entre Paris et Berlin s’est creusé plus qu’il ne s’est comblé ces derniers mois », observe M. Mölling.

La place importante accordée par Mme von der Leyen à l’aide au développement, vendredi, semblait clairement l’indiquer. Sans doute fallait-il y voir un message de politique intérieure.

A la veille du vote des adhérents du SPD sur le « contrat de coalition », prévu du 20 février au 2 mars, la ministre de la défense, membre de la CDU, sait qu’elle n’a intérêt à gommer tout accent martial dans son discours, afin de ne pas hérisser la fibre pacifiste des sociaux-démocrates. Il n’empêche. « Dans le cadre de l’Europe de la défense, l’Allemagne va continuer à mettre l’accent sur le civil et l’éternel débat entre opérations militaires et aide au développement perdurera », prédit déjà Mme Kunz.

Reste les exportations d’armements. Dans ce domaine, la volonté affichée de Berlin d’être encore plus stricte pourrait mettre en question les projets qu’ont en commun l’Allemagne et la France sur les chars et les avions de combat. « Si on veut construire un char de combat ensemble mais qu’on ne peut pas l’exporter, c’est un problème », résume Mme Kunz.

Sur ce plan, l’accord entre le SPD et la CDU-CSU « ne règle absolument pas le problème », abonde M. Mölling. Une façon de souligner que, dans le domaine de la défense comme dans d’autres, tel l’avenir de la zone euro, le « nouvel élan pour l’Europe » qui a été choisi comme titre au programme de la future « grande coalition » qu’entend conduire la chancelière Angela Merkel, risque de rapidement se heurter au mur d’une réalité beaucoup moins lyrique.