Donald Trump arrive à l’aéroport Palm Beach International, en Floride , vendredi 16 février. / ANDREW HARNICK / AP

Il n’y croyait pas. Dans une interview accordée au Time en décembre 2016, Donald Trump l’avait affirmé sans détour : « Je ne pense pas qu’ils aient interféré dans l’élection ». Ils, c’était les Russes. « Ça pourrait être tout autant la Chine. Ou un type obèse assis sur son lit au fin fond du New Jersey », avait ajouté le président américain, disculpant en une phrase le Kremlin de toute velléité interventionniste.

Plus de deux ans plus tard, « il n’y a désormais plus de doute possible sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle », titre le mensuel américain The Atlantic, au lendemain des révélations du ministre de la justice américain. Ce dernier a annoncé, vendredi 16 février, poursuivre treize Russes et trois entités russes pour complot en vue de tromper les Etats-Unis. Un élément qui fait vaciller la stratégie de défense de la Maison Blanche, note à l’unisson la presse américaine.

Car le document de 37 pages publié par le procureur spécial chargé de cette enquête, Robert Mueller, est une « bombe à fragmentation », note le site d’informations américain Wired. Pour l’heure, de fait, il n’établit pas de participation délibérée du côté de l’équipe de campagne de Donald Trump. Mais il n’en fait pas moins voler en éclats la ligne du président américain depuis les premiers soupçons de collusion. « Etes-vous toujours sûr de vouloir appeler ces accusations des “fake news”, monsieur le président ? », prend ainsi à partie l’éditorial du New York Times dès son incipit.

Pour le quotidien américain, les rebondissements de vendredi sont « une charge directe contre la version de la réalité que Donald Trump a patiemment tenté de mettre en place depuis son élection ». Le président américain avait notamment jusqu’ici « tenté de discréditer l’enquête de Robert Mueller comme le fruit d’une chasse aux sorcières », rappelle le journal américain. « Il faut désormais cesser de laisser les Russes s’en tirer impunément, M. Trump », souligne le quotidien.

« Trump est la première victime »

Mais Donald Trump – qui a pourtant été prévenu avant la conférence de presse du ministre de la justice, nous apprend la chaîne de télévision CNBC – ne semble pas avoir choisi de suivre ce conseil. Dans un tweet, le président américain a préféré rappeler qu’il n’y avait « aucune collusion » et mettre en avant ce qui l’innocente, plutôt que de condamner l’action menée par la Russie.

Une réponse politique « inappropriée », selon le Washington Post :

« Le seul message qu’il devrait envoyer, à la fois au peuple américain et à Moscou, c’est que M. Poutine est responsable et que le gouvernement américain va riposter de manière appropriée à ces attaques. »

Une position d’autant plus justifiée que, pour le Wall Street Journal, « les preuves amenées jusqu’à présent souligne que le président Trump est la première victime de ces manœuvres russes, et qu’il devrait être furieux contre Vladimir Poutine ». Parce que ces soupçons ont « entaché toute la première année d’exercice de se présidence et affaibli son pouvoir, Donald Trump devrait publiquement déclarer son indignation à la Russie au nom du peuple américain »

Pour le Washington Post, ce manque de réaction de la part de Donald Trump fait ressortir « la déroutante et inexcusable absence de leadership présidentiel ». Et le quotidien d’en appeler ainsi au Congrès, qui « doit s’imposer pour défendre la nation ».

Un avis partagé par le New York Times, qui appelle notamment à « faire entrer en vigueur les sanctions votées largement l’an passé et signées à l’été ». Mais « cela impliquerait bien sûr que Donald Trump surpasse sa mystérieuse réticence à agir contre la Russie et à se concentrer plutôt sur la protection de son pays ».

« Une trahison au serment »

La chaîne USA Today va même plus loin, en estimant que cette absence de réaction de la part du président américain est « la base sur laquelle appuyer une procédure d’impeachment », soit une démission forcée. « Quel est l’intérêt d’avoir une république libre si le président fait l’aveugle quand un pouvoir étranger interfère avec notre pays », note le média américain.

« Notre droit fondamental à choisir nos propres dirigeants est attaqué et notre président non seulement ne fait rien contre cela, mais préfère en plus rester dans le déni que cela est bien arrivé. C’est une trahison au serment qu’il a prêté en prenant son poste. »

Comment dès lors expliquer le choix de Donald Trump de rester sur la défensive plutôt que de passer à l’offensive contre le Kremlin ? Pour le site américain Politico, c’est notamment parce que « ces accusations mettent en lumière quelque chose que Donald Trump s’est farouchement battu pour éviter : la question de la légitimité de son élection ». Le président américain est « notoirement irrité par le fait qu’un agent étranger ait pu expliquer au moins en partie sa réussite politique », souligne le site d’informations.

Pour CNN, cette réplique de Donald Trump s’explique aussi par le « sérieux » de l’enquête Mueller. « Ces poursuites judiciaires sont bien réelles, et pourront conduire à des condamnations tout aussi réelles », note la chaîne de télévision. Dès lors, « il n’est plus possible pour Donald Trump de continuer à dénigrer l’enquête à l’avenir », note le média.

Or, il ne s’agit qu’un des cinq volets de l’investigation conduite par le procureur spécial Robert Mueller. De fait, « M. Mueller n’a pas fini son enquête et n’a pas exclu la possibilité d’une collusion », souligne ainsi le Washington Post. Pour le quotidien, persister dans les dénégations est donc un pari dangereux pour le président américain, car nul ne sait ce qui viendra ensuite.