Yuzuru Hanyu, lors du programme court de l’épreuve de patinage artistique, vendredi 16 février, à Pyeongchang. ARIS MESSINIS/AFP / ARIS MESSINIS / AFP

Yuzuru Hanyu a répondu d’une révérence à l’ovation debout, aux drapeaux du Japon et au bruit, énorme. Autour de l’acrobate, un essaim violet s’est mis à tourbillonner, ramassant les Winnie l’Ourson qui rebondissaient par dizaines sur la patinoire de Gangneung. C’est par un lancer de peluches que les admiratrices ont pris l’habitude de saluer les performances de Yuzuru Hanyu, et celle-là le méritait : au prix d’un programme ponctué de quatre quadruples sauts, dont trois réalisés parfaitement, le Japonais a conservé le titre olympique obtenu à Sotchi il y a quatre ans. Le dernier doublé en patinage messieurs, discipline à la hiérarchie mouvante, remontait à l’Américain Dick Button, en 1948 et 1952.

Le public japonais, chez lequel la passion pour les patineurs dépasse parfois les limites du raisonnable, trouvait une deuxième raison de s’embraser avec la médaille d’argent de Shoma Uno, 20 ans seulement. En bronze, l’Espagnol Javier Fernandez enfonce un coin dans la suprématie asiatique – cinq des six premiers sont nés en Asie ou sont d’origine asiatique, pour les Américains Nathan Chen et Vincent Zhou. Il y a quatre ans, l’histoire de Yuzuru Hanyu était celle d’un patineur de 19 ans ayant dû, trois ans plus tôt, fuir la patinoire locale sans déchausser ses lames en raison du séisme et du tsunami au large de Fukushima.

Plus réaliste que romantique

A Pyeongchang, Yuzuru Hanyu a fait la démonstration d’une volonté et d’un physique hors norme, puisqu’il arrivait sans la moindre compétition dans les jambes depuis trois mois. Le 9 novembre, il s’était blessé aux ligaments de la cheville droite en tentant un quadruple lutz à l’entraînement. « J’ai juste pensé : “Patine”. Pensé à patiner toute la journée, chaque jour, chaque semaine. Et j’ai gardé la foi. » Le quadruple, réalisé pour la première fois en compétition il y a trente ans, est le compagnon infidèle du patineur contemporain. La figure absolue, indispensable et traîtresse. Le « quad » est la nouvelle pomme de discorde du patinage artistique masculin.

Yuzuru Hanyu n’est pas le maître de la quadruple rotation. Mais il est celui qui, à Pyeongchang, a trouvé le meilleur équilibre entre la prise de risque et la réussite. Celui que l’on donnait favori pour l’or était l’Américain Nathan Chen, surnommé « The quad king ». Il en a fait l’élément essentiel de son patinage, mais en rate plus d’un sur trois en compétition.

Yuzuru Hanyu en exposition multiple, lors du programme libre de patinage artistique, samedi 17 février à Pyeongchang. AFP / Mladen ANTONOV / MLADEN ANTONOV / AFP

Cette tendance lui a coûté une médaille olympique : deux erreurs sur ses « quads » du programme court l’avaient relégué à la 17e place. Un programme libre exceptionnel, ponctué de six « quads », dont cinq bien exécutés – une première dans l’histoire du patinage –, l’a vu remonter à la cinquième place. Athlète exceptionnel, Nathan Chen a relégué dans l’ombre les danseurs, les esthètes aux transitions déliées et aux suites de pas enchanteresses. Ceux que certains observateurs considèrent comme les véritables artistes parce qu’ils suscitent une émotion plus forte, mais que les changements dans la méthode de notation ont tués. Parce que les scandales sur la notation subjective étaient incessants, l’International Skating Union (ISU) a introduit une méthode plus objective. Et parce que le verdict des Jeux olympiques de Vancouver, en 2010, a suscité un nouveau tollé, elle a renforcé l’importance des quadruples sauts.

« Le patinage doit récompenser le plus complet, et non le meilleur sauteur, non ? »

L’Américain Evan Lysacek y avait glané l’or devant le Russe Evgueni Plushenko sans passer un seul « quad » – il était le premier champion olympique dans ce cas depuis 1994. Plushenko et son quadruple saut pour rien avait tempêté : « Ceux qui ne font pas de quadruple ne sont pas des hommes. Ce n’est plus du patinage, c’est de la danse. » L’ISU a relevé la note des « quads » à une hauteur telle que ceux-ci constituent désormais l’essentiel des sauts réalisés par les meilleurs. Le Japonais Shoma Uno a ainsi devancé Javier Fernandez malgré une chute et une erreur sur deux de ses quadruples sauts.

Son quadruple boucle terminé sur les fesses lui a rapporté plus de points qu’un triple boucle réussi par l’Espagnol. Le réalisme a pris le pas sur le romantisme, l’efficacité sur la perfection. Conséquence de cette prime au risque, Yuzuru Hanyu a remporté ses deux titres olympiques en ratant à chaque fois deux sauts : cette fois, ce fut un quadruple boucle piqué lui coûtant une main sur la glace et un triple lutz mal réceptionné. « Le patinage doit récompenser le plus complet, et non le meilleur sauteur, non ? », faisait mine de s’interroger Javier Fernandez avant les Jeux. L’ISU s’interroge aussi. Elle envisage maintenant de réviser à la baisse le nombre de sauts autorisés et la valeur des quadruples . Mais la prochaine frontière, estiment les entraîneurs, sera bientôt franchie : celle du quadruple axel, ajoutant une demi-rotation, et un jour le quintuple saut.

Yuzuru Hanyu sera-t-il de cette ère-là ? L’usure qu’imposent les « quads » sur le corps des patineurs raccourcit les carrières mais le double champion olympique n’a que 23 ans. Les Winnie l’Ourson n’ont peut-être pas fini de pleuvoir.