Pita T. Sans son drapeau, mais avec une combinaison. / CARLOS BARRIA / REUTERS

D’une certaine façon, ça nous a rassuré. J’ai un peu honte de l’admettre, mais le numéro du Tongien-torse-nu après la cérémonie d’ouverture m’avait un peu inquiété. Souvenez-vous, après avoir paradé avec pour simple appareil une natte – il s’agit d’une ta’ovala – nouée autour de la taille lors de la glaciale cérémonie d’ouverture, Pita Taufatofua avait déclaré :

« Je n’avais pas froid du tout. Quand vous êtes de Polynésie, la chaleur vient de l’intérieur et non de l’extérieur . »

« Pyeongchang, comme ça se prononce » a mené son enquête. Et aujourd’hui, je suis en mesure de vous affirmer ceci : ledit Pita n’est pas un être étrange venu de l’espace pour ne pas avoir froid. Même les Tongiens peuvent souffrir du froid.

« Je suis jaloux de toutes vos couches ! » Au petit groupe de journalistes patients-et-gelés (patients-car-gelés est une explication plausible) qui l’attendaient vendredi 16 février comme le Messie, Pita Taufatofua a confié souffrir terriblement du froid tombé subitement sur le centre de ski de fond d’Alpensia. « Rester parler avec vous est encore plus dur que la course. Car au moins là, j’avais chaud. »

« Je ne suis pas tombé. Pas devant les caméras, pas quand elles n’étaient pas là. C’est pas mal, non ? » / Le Monde

Car le néo-fondeur tongien a bien terminé sa première course olympique. Lui qui admet « ne pas être un athlète d’efforts longs » a galéré, mais bouclé les 15 km en style libre à la 114e position (sur 118) avec près de 23 minutes de retard sur le champion olympique Dario Cologna. Qui était sur la ligne d’arrivée pour le féliciter.

Bruce Lee, chutes et marathon télé

Passé le moment gênant où une confrère chinoise lui demande de souhaiter bonne année – dans la langue de Sun Tzu – aux citoyens de l’empire du Milieu (scoop : il n’y est pas parvenu), Taufatofua nous a raconté sa course. Note pour plus tard, le karma existe : cette dame a vu son enregistrement s’interrompre au milieu de l’interview, car son portable s’est éteint. Et s’est attiré un « il vous faudrait une meilleure batterie » du Tongien. Puis, gentil, il lui a confié la relation (imaginaire) qu’il entretenait avec le héros de son enfance, Bruce Lee, et sa « philosophie ».

Gelé, mais gérant à merveille sa communication (fait dont il est coutumier), l’ancien combattant de taekwondo a « donné du biscuit » aux journalistes. Florilège :

  • « Je suis hyper content de ne pas avoir terminé dernier .»
  • « Qu’est-ce qui a été le plus dur ? Vous voyez cette montée ? On dirait qu’elle s’arrête bientôt. Mais non, elle continue jusqu’au bout du monde. »
  • « Dans la dernière descente, je me suis concentré, “surtout ne pas tomber, pas maintenant pas devant tous ces gens”. »
  • « Je ne suis pas tombé. Pas devant les caméras, pas quand elles n’étaient pas là. C’est pas mal, non ?  »
  • « Combien de temps a duré ma course ? Une heure ? Eh bien ça fait douze semaines et une heure que je me suis mis au ski. Donc dans quatre ans, je serai clairement meilleur. »

Enfin, le représentant de l’atoll du Pacifique a pu quitter, au bout d’une bonne heure et demi, la zone mixte où télés, radios et journalistes du monde entier avaient essayé de lui parler. Alors que tous les concurrents des grandes nations du fond (on vous laisse choisir si la France en est) avaient depuis longtemps regagné leurs pénates, ceux des « pays exotiques » (ce n’est pas PCÇSP qui le dit, c’est l’entraîneur allemand de Pita Taufatofua) entamaient une seconde course.

Non contents d’avoir terminé à plus de vingt minutes, il fallait les voir, les Brésilien, Marocain, Mexicain, Colombien, Bolivien et le sacré numéro complémentaire tongien (oui, une règle mathématique oubliée semble régir les participants, exigeant que seuls des pays dont les ressortissants s’achèvent en «-en » fassent partie du concert des petites nations en ski de fond), enchaîner les interviews en grelottant. Mais après avoir repoussé une paire de compétitions olympiques, le froid n’allait pas leur voler leur quart d’heure de célébrité.

D’ailleurs, le froid était souvent le sujet de conversation principal avec ces sportifs qui se sont réunis au village olympique (on gage que l’ambiance est bonne). Une bonne façon de briser la glace sans doute. Mais on laisse le mot de la fin au Chilien Yonathan Jesus Fernandez, 102e de l’épreuve : « Que puto frio ! » On ne traduira pas.