Martin Fourcade a cru avoir perdu cette mass-start à l’issue de son sprint face à Simon Schempp. / Andrew Medichini / AP

Analyse. Sur la ligne d’arrivée, alors que tout l’encadrement de l’équipe de France de biathlon venait de poser pour une photo souvenir, dimanche 18 février, avec le quadruple champion olympique Martin Fourcade, on a failli gâcher l’ambiance. Question : « Malgré tout, il y a encore cette dernière balle dehors… » Réponse de Stéphane Bouthiaux, son entraîneur : « Cette dernière balle, on ne va pas y penser. Il a gagné ce soir et c’est tout. Rien d’autre à dire là-dessus. »

Pas le soir pour les regrets : la médaille sera autant en or que s’il avait parcouru le dernier tour en solitaire après un sans-faute sur le dernier tir. Mais cette 20e balle à côté confirme la condition précaire - qu’elle soit physique, mentale ou les deux - dans laquelle se trouve Martin Fourcade à Pyeongchang.

Elle renforce l’impression laissée par son erreur de lecture du vent sur le premier tir des Jeux - le tir couché du sprint, où il avait fait trois fautes -, et par sa précipitation sur les deux dernières balles du 20 kilomètres, jeudi. Il a connu cette même difficulté à conclure dimanche soir, alors qu’il était le dernier à tirer sa cinquième balle et savait probablement que ses deux adversaires allemands en avaient raté au moins une.

« Ce sont des erreurs que je ne fais pas en temps normal, comme la dernière balle aujourd’hui, constatait Fourcade après sa victoire. Je ne suis pas satisfait et ça vient bien de quelque part. Est-ce la pression ? Est-ce la fatigue qu’engendre l’attention autour de moi ? J’ai du mal à le définir. Je n’ai pas peur de finir le travail mais je n’arrive pas à le faire. »

Etat de fatigue avancé

L’homme qui ne ratait rien ou presque cette saison, montant sur le podium à chacune des 15 courses de Coupe du monde, en est tombé deux fois sur quatre et a vu chuter sa réussite au tir à 88,5 % (91 % jusqu’alors).

Si sa victoire semblait écrite au départ de la poursuite, pour laquelle il s’élançait en position idéale, il n’en était pas de même avant la mass-start dimanche. Son échec dans le 20 kilomètres l’avait déstabilisé, au point que le Français ait mal dormi depuis jeudi. Il se remettait aussi d’un début de trachéite.

Fourcade ne cache pas un état de fatigue avancé, au point de fermer les yeux pour s’offrir de microsiestes dès qu’il en a l’occasion. Dimanche, Fourcade était apparu perturbé jusqu’au départ de la course, raconte Stéphane Bouthiaux qui l’accompagne depuis ses débuts.

« Je n’étais pas vraiment serein au départ de la course. Aux essais de tir, il avait oublié sa carabine ; il tombe à la sortie de l’anneau de pénalité du premier tir, ce n’est pas du tout dans ses habitudes ; donc je pense que lui n’était pas serein non plus. Qu’il se demandait à quelle sauce il allait être mangé. »

«  Avec lui, c’est quasiment une science exacte »

Il en ressort une part d’humanité qui avait presque disparu. Ce sport est censé être imprévisible car soumis, en plus des variations de forme physique, aux aléas du tir. Donc aux aléas psychologiques et météorologiques.

Or, depuis deux saisons, Martin Fourcade « a fait perdre au tir son aspect aléatoire », observait avant les Jeux son premier entraîneur Thierry Dusserre. « Avec lui, c’est quasiment une science exacte. »

Mais les Jeux olympiques échappent à toute forme de contrôle, même lorsqu’on est, comme le dit le DTN (Directeur technique national) du ski français Fabien Saguez, « un personnage d’un autre monde, au-dessus de la mêlée ».

« D’une manière personnelle je pense que cela a été pour lui des Jeux compliqués, disait Fabien Saguez dimanche soir, faisant le bilan des quatre courses individuelles de Fourcade. Quelque part, il s’était mis beaucoup de pression. On a vu qu’il avait très bien préparé son événement car il avait la capacité de gagner les quatre, mais ça ne se passe jamais comme ça, dans la vraie vie. »

Failles jamais entrevues cette saison

Le Français l’avait anticipé. A ceux qui prédisaient que ces Jeux seraient un duel entre Johannes Boe et lui, les deux hommes ayant remporté toutes les courses de l’année sauf une, il répondait que ce ne serait pas le cas. Car les Jeux sont toujours à part et le pas de tir exposé au vent dans le stade de Pyeongchang renforcerait l’incertitude.

Boe et Fourcade ont remporté trois courses sur quatre mais les Allemands (Arnd Pfeiffer vainqueur du sprint, Simon Schempp battu au jeté de ski lors de la mass-start) leur ont mené la vie dure.

Et les deux souverains de la Coupe du monde ont chacun montré des failles jamais entrevues cette saison. Dimanche, Boe a commis trois fautes sur son deuxième tir et laissé échapper toute chance de médaille. Sur ces JO, le Norvégien est retombé dans ses travers des années passées et sa médaille d’or apparaît presque comme miraculeuse.

Martin Fourcade, si soucieux de l’image de son sport, a poussé le vice jusqu’à entretenir le suspense au long des quatre courses individuelles. Cela rend le biathlon plus excitant encore, mais on ne jurerait pas qu’il l’ait fait exprès.