Des Poillysiens mobilisés devant l’école. / Solène Cordier / Lemonde.fr

Depuis quelques semaines, deux banderoles blanches accueillent le visiteur à l’entrée de Poilly-sur-Serein, à dix kilomètres de Chablis, dans l’Yonne. Sur l’une : « Sauvons notre école » ; sur l’autre : « 3 emplois à sauver », aux feutres de couleur.

A l’épicerie, on ne parle que de ça. Et pour cause, le seul commerce encore ouvert du village se trouve justement en face de l’école, dont les grilles sont elles aussi ornées de banderoles. « Si elle ferme, on va devenir un village dortoir », s’alarme Monique Gérard, l’épicière. « A Poilly, c’est dynamique, pas comme dans d’autres villages. Il y a le soutien scolaire, les repas de fête, la kermesse, et tout part de l’école ! »

Signe de cet attachement, malgré les vacances scolaires, les habitants se mobilisent contre cette fermeture annoncée par le rectorat. A la mairie, les élus et les parents d’élèves échafaudent les futures actions. Fanny Mignon, déléguée de parents d’élèves et conseillère municipale, prévient, bravache : « On ne va pas se laisser faire. »

« On a appris par les syndicats qu’on était sur la liste noire de l’académie »

Inlassablement, elle reprend le fil des événements, comme pour se convaincre qu’il ne s’agit pas d’un mauvais rêve. « On a appris par les syndicats qu’on était sur la liste noire de l’académie le mardi 30 janvier. Nous, les parents d’élèves, on s’est réunis le jour même. Le lendemain, on s’est retrouvés devant l’école pour faire des banderoles, on a créé la page Facebook dans la foulée, et le soir une réunion publique improvisée a réuni entre quatre-vingts et cent personnes. Dans la salle il y avait des bébés et des personnes de plus de 85 ans ! »

Plus de soixante-dix personnes (sur deux cent quatre-vingt-dix habitants) décident alors de se retrouver pour manifester le mardi suivant, le 6 février, devant le bâtiment où se réunit le comité technique départemental à Auxerre. Cette instance, composée pour moitié de représentants du personnel et de l’administration, est appelée à se prononcer sur les ouvertures et suppressions de classe à la rentrée. Lors de cette première réunion, la carte scolaire proposée par le directeur académique est rejetée, et un nouveau rendez-vous est fixé au 27 février. C’est un sursis. Mais l’école de Poilly figure toujours sur la liste des établissements censés disparaître.

Depuis, derrière les belles façades des maisons datant du XIXe siècle de la rue principale, anciennes demeures de négociants en vin, l’incrédulité alterne avec l’envie d’en découdre. Lydie Cerveau, dynamique sexagénaire et Poillysienne depuis plus de trente ans, a fait partie du convoi pour Auxerre, le 6 février. « On a emmené ma petite-fille Rachel, qui est en CM2 à l’école. C’était sa première manif ! » Le rire laisse place à la colère. « Dans les campagnes, on nous fait crever à petit feu, et en plus il faudrait le faire en silence ! » Et de rappeler, en tapant du poing, la promesse d’Emmanuel Macron de ne pas fermer de classe dans les zones rurales au cours de son mandat.

L’école a toujours existé

« On est en désertification pour tout, on nous ferme le service des urgences de Tonnerre, il y a des menaces sur la gare, et chez nous qui sommes loin de tout, maintenant, c’est l’école », dénonce Fanny Mignon. A Poilly-sur-Serein, comme dans des centaines d’autres communes rurales, quasiment tous les commerces ont disparu progressivement, faute de repreneurs. « Quand je suis arrivée en 2000, il y avait encore la boucherie, la boulangerie », se rappelle une habitante. « Et avant ça, le café, le garage… », poursuit un autre.

Mais une chose est sûre : de mémoire de Poillysien, l’école, elle, a toujours existé. Et petit à petit, elle a fédéré l’énergie des habitants, et dopé leur imagination. C’est ainsi qu’est née l’association les Galoupiots, en 2003. Hélène Comoy, aujourd’hui première adjointe au maire, a fait partie des fondatrices. « On s’est rendu compte que certains enfants du village avaient des difficultés, alors on s’est mis en tête de créer une association de soutien scolaire. » A l’époque, l’école connaît « des hauts et des bas », avec des instituteurs qui se succèdent, et des effectifs qui tombent même une année à huit élèves — contre dix-sept aujourd’hui. « Mais on savait que des enfants avaient l’âge d’entrer l’année suivante, alors on a convaincu l’inspectrice », se rappelle en riant une ancienne mère d’élève.

« Cent pour cent des élèves sortis de l’école ont eu les félicitations au collège cette année »

Grâce aux Galoupiots, plusieurs mamies du village reviennent à l’école pour apporter leur aide. Jeannine, 71 ans, est l’une d’entre d’elles. « J’ai aidé pendant des années une petite fille, Océane. Tous les soirs, après la classe, on reprenait les cahiers. Ça a duré de ses 7 ans à l’entrée au collège, et même encore après. » Au-delà de l’aide aux devoirs, l’histoire de Jeannine et Océane raconte le lien créé entre les générations. « Tous les mercredis elle venait à la maison, elle était comme chez elle. On l’a même emmenée en vacances à la mer une fois. Aujourd’hui elle a 20 ans, et elle donne encore des nouvelles. »

Depuis quinze ans, Caroline, l’institutrice, insuffle son énergie à la classe unique qui accueille les enfants de la dernière section de maternelle au CM2. « Et ça marche, bon sang !, s’emporte Lydie, l’ancienne infirmière psy au joyeux franc-parler, aussi bénévole aux Galoupiots. Cent pour cent des élèves sortis de l’école ont eu les félicitations au collège cette année. »

« Il faudra déménager »

La garderie, la cantine, les activités manuelles un samedi par mois, le soutien scolaire…, à écouter les habitants, la liste des combats menés pour l’école est longue. Les initiatives lancées un temps par les parents d’élèves pour sauvegarder l’établissement fonctionnent désormais avec deux employées communales à temps partiel, qui perdront leur emploi en cas de fermeture.

« C’est sûr que la présence de l’école, en plus de l’ambiance, c’est ce qui nous a décidés à nous installer », témoigne Aude, qui vit ici depuis six ans. « Si elle ferme, s’inquiète la jeune femme, dont la petite dernière s’agite dans son porte-bébé, mon fils devra prendre le bus dès 8 heures et rentrera à la maison à 18 heures », Poilly se situant en bout de ligne. Coralie, elle, a déjà fait le calcul. Avec quatre enfants, en comptant le coût du transport scolaire et celui de la cantine, « on ne s’en sortira pas, il faudra déménager. »

A la fin de janvier, une jeune femme d’un village voisin est venue rencontrer le maire, Joël Rintjema, pour lui présenter son projet d’ouverture d’une minicrèche pour les enfants des environs. « Elle a fait son étude de marché et elle a choisi Poilly parce qu’on est un peu loin de tout, mais en même temps dynamiques, et qu’il y a des naissances chaque année. » Mais, soupire l’élu, en cas de fermeture de l’école, le projet risque fort d’être abandonné.

Le projet #Bledsàpart

Cette année, la rédaction du Monde part à la recherche d’histoires, de témoignages, d’acteurs qui ont décidé de se mobiliser pour dynamiser leur territoire.

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