On le surnommait le « maestro » du cinéma africain, mais ses plus anciens proches l’appelaient « Wilson Pickett », du nom du chanteur et compositeur américain de soul et de blues qu’il affectionnait tant. Idrissa Ouedraogo, célèbre réalisateur burkinabé, s’est éteint dimanche 18 février à l’âge de 64 ans. « Son décès m’a surpris. Je le revois encore ici la semaine dernière, en train de parler avec ses voisins. Il allait bien. Je savais qu’il avait des problèmes de tension mais je ne pensais pas que c’était à ce point-là », regrette Issa Saga, un ami réalisateur.

Lundi, la cour familiale du « maestro », à Ouagadougou, connaissait l’animation des jours de deuil. Dans un ballet incessant, proches et moins proches entrent et sortent, jetant un regard triste au portrait en noir et blanc d’Idrissa Ouedraogo, l’œil espiègle, fixant l’objectif. Le quartier entier est endeuillé. Car « Idrissa », comme l’appelaient affectueusement ses voisins, était évidemment connu de tous. « C’était un homme très généreux. Il nous assistait dès qu’il y avait un problème. Il était très entouré et partageait toujours ses repas et sa bière », se remémore Edmond Sawadogo, l’un de ses voisins.

Un mot revient dans la bouche de tous ses proches : « génie ». Idrissa Ouedraogo n’a pas mis longtemps à obtenir la reconnaissance de ses pairs. En 1981, sa première œuvre, Poko, est couronnée du prix du meilleur court-métrage au prestigieux Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Dix ans plus tard, le réalisateur entre dans l’histoire du cinéma africain et fait la fierté de son pays en devenant le premier Burkinabé à remporter le prix suprême du Fespaco, l’Etalon d’or, avec son long-métrage Tilaï.

« Il n’était pas là pour s’amuser »

En plus de trente-cinq ans de carrière, Idrissa Ouedraogo a tourné une quarantaine de films. Insatiable, il voulait en faire encore davantage. « Il venait de terminer un scénario », affirme Ismaël Ouedraogo, un cinéaste qui fut à plusieurs reprises son assistant. Dans ce film en gestation intitulé Duel au soleil, le « maestro » voulait revenir sur le rôle joué par la chefferie traditionnelle burkinabée lors de la colonisation. Il n’aura pas eu le temps d’en faire le casting. « Nous voulons réaliser ce film. Nous allons chercher des financements pour qu’il voie le jour, pour lui rendre un dernier hommage », poursuit l’ancien assistant.

Idrissa Ouedraogo en trois films
Durée : 01:52

Ismaël Ouedraogo se souvient d’un « homme de caractère » qui « insistait beaucoup pour avoir de belles images et de beaux cadres ». « Il était aussi très porté sur le son », ajoute-t-il. Avec ses acteurs, Idrissa Ouedraogo n’était pas tendre. « Il était perfectionniste et n’était pas là pour s’amuser. Il nous criait souvent dessus, mais après, il venait nous expliquer qu’il le faisait pour notre bien, pour que le résultat soit excellent », raconte Roukiétou Barry, une actrice présente dans plusieurs de ses films, dont Yaaba, Tilaï ou encore Karim et Sala. « Il a lancé ma carrière et est devenu comme mon papa », poursuit la comédienne, qui retient avant tout la générosité du réalisateur.

Ce sens du partage, il l’avait aussi avec les étudiants de l’Institut supérieur de l’image et du son de Ouagadougou (ISIS). Lui qui venait quasi quotidiennement dans la cour de cette école de cinéma pour taquiner les étudiants et parler de mise en scène avait des habitudes bien à lui. « Il n’aimait pas le principe du cours. S’asseoir à un bureau et enseigner, ce n’était pas son truc », se souvient Toussaint Zongo, l’un de ses anciens étudiants. « Il venait, passait la tête par la porte et, quand un cours l’intéressait, il entrait et nous faisait profiter de son savoir », ajoute Rachida Maïga, étudiante en master 1 de fiction à l’ISIS.

Le sens de l’improvisation

Une improvisation que l’on retrouvait sur les plateaux de tournage, comme se remémore l’apprentie réalisatrice, qui a pu assister à quelques tournages d’Idrissa Ouedraogo : « Il ne respectait jamais ce qu’il avait écrit. Il avait le film dans sa tête, c’était impressionnant. Pendant qu’une scène se tournait, il prenait des notes sur sa main ou sur son paquet de cigarettes pour la suivante. On tournait souvent autre chose que ce qu’il y avait dans le scénario. Pour moi, c’était une des marques de son génie. »

« On ne peut pas faire l’économie de la formation professionnelle […] La formation et la maîtrise de l’outil cinématographique sont très importants. C’est ce qui permet au regard et aux oreilles d’accepter un film », avait confié Idrissa Ouedraogo dans une interview accordée au Monde Afrique en mars 2015. Selon ses proches, ces dernières années, il s’agaçait de voir le cinéma africain stagner, par manque de moyens et de talents. « Lui aura fait ce qu’il a pu », assure le réalisateur Issa Saga. « Grâce à lui, on ne peut plus raconter l’histoire du cinéma mondial sans parler de cinéma africain et de cinéma burkinabé », résume Toussaint Zongo.

Ce lundi soir, le gratin du septième art burkinabé devait se réunir au Centre national des arts du spectacle et de l’audiovisuel pour lui rendre un dernier hommage. L’inhumation du géant burkinabé aura lieu mardi au cimetière ouagalais de Gounghin.