La France compte aujourd’hui 360 loups répartis dans 33 départements. / HENRY ROMERO / REUTERS

C’est une mise bas qui aura été longue et douloureuse. Le Plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage a été publié sur les sites des ministères de la transition écologique et de l’agriculture, lundi 19 février, après une année et demie de travail et autant d’oppositions entre associations et éleveurs. Le document, fort d’une centaine de pages, est crucial puisqu’il doit guider toutes les actions de terrain pour les six prochaines années, avec le double objectif « d’assurer la conservation du canidé et de prendre en compte la détresse des éleveurs ». Deux arrêtés l’accompagnent, qui devront être publiés au Journal officiel et qui prévoient les conditions dans lesquelles peut être tué l’animal, strictement protégé sur le territoire français et européen.

Le plan fixe notamment pour objectif d’assurer la viabilité de l’espèce dans l’Hexagone, en visant une population de 500 loups d’ici à la fin du quinquennat, contre 360 aujourd’hui. Il autorise néanmoins des canidés à être « détruits » pour « prévenir des dommages importants aux troupeaux » à condition qu’« il n’existe pas d’autres solutions » et que les tirs ne nuisent pas à la conservation de l’espèce. Ce plafond a été fixé à 40 animaux pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2018 ; il sera ensuite porté à 10 à 12 % de la population par an, après chaque mise à jour des effectifs. Reste que quelques tirs pourront être autorisés par le préfet « au-delà des plafonds en cas de situation exceptionnelle », selon le texte, qui ne précise pas leur teneur.

Tirs facilités

Les modalités encadrant les tirs de loups évoluent également. Les tirs de défense, c’est-à-dire ceux réalisés à proximité des troupeaux soumis à la prédation, seront facilités « à partir du moment où leurs troupeaux sont protégés ou reconnus comme ne pouvant être protégés ». A l’inverse, les tirs de prélèvement – non destinés à protéger un troupeau précis, mais autorisant la destruction d’un ou plusieurs loups, sur une zone définie, en cas d’échec des autres mesures –, ils ne pourront s’effectuer que du 1er septembre au 31 décembre et seront limités à des « territoires caractérisés par l’importance des attaques ».

Autre mesure sensible demandée par les associations et refusée en bloc par le monde agricole : la conditionnalité des indemnisations, après une attaque, à la mise en place de mesure de protection – sans contrôle toutefois. Chiens, clôtures ou regroupement nocturne des bêtes, gardiennage ou surveillance du berger : les éleveurs devront avoir mis en place au moins deux de ces parades parmi les plus répandues pour être dédommagés de la perte d’une ou de plusieurs brebis. Ce dispositif sera mis en place de manière « progressive et adaptée à la situation des élevages » dans les zones enregistrant des attaques récurrentes, exonérant ainsi les « fronts de colonisation » (où le loup est en train d’arriver). Le plan prévoit en outre l’installation d’une équipe de bergers d’appui et la mise en place d’une « filière de qualité » pour les chiens de protection.

Enfin, il donnera lieu à de nouvelles études pour améliorer la connaissance autour du loup, considérée comme insuffisante malgré les expertises collectives qui avaient eu lieu l’an dernier. Il s’agira notamment de comprendre l’impact du canidé sur les écosystèmes ou l’efficacité des tirs sur la prédation. Un centre de ressources rassemblant l’état des connaissances sur l’espèce sera aussi créé.

Exercice d’équilibriste

Reste que cet exercice d’équilibriste ne satisfait ni les associations ni les éleveurs, qui le rejettent en bloc. « Le loup est à nouveau victime du manque de courage politique, dénoncent dans un communiqué commun quatre associations, France Nature Environnement, la Ligue pour la Protection des Oiseaux, le WWF et Ferus. L’Etat montre ainsi qu’il est dans une position défensive et qu’au lieu d’assumer un objectif de coexistence, il n’a ni le courage de rappeler le cadre de la loi ni celui d’affirmer qu’il est nécessaire que l’élevage s’adapte à la présence de cette espèce protégée. »

L’Association pour la protection des animaux sauvages a de son côté prévu d’attaquer devant le Conseil d’Etat les deux arrêtés, au motif qu’ils continuent de « traiter le loup comme un nuisible » et d’« autoriser des tirs alors que leur efficacité n’est pas démontrée », mettant « en péril la viabilité à long terme de la population ». L’ONG note également qu’en raison de changements dans le calendrier des tirs de loups (qui s’établissent dorénavant sur l’année civile et non plus du 1er juillet au 30 juin de l’année suivante), davantage d’animaux auront été abattus. « Au final, on autorise à tuer 75 loups en dix-huit mois, soit 20 % de la population », s’émeut sa directrice, Madline Reynaud.

De leur côté, les éleveurs considèrent que ce texte ne leur octroie toujours pas « un droit légitime à défendre en permanence leur troupeau », alors que le nombre de brebis tuées par le loup ne cesse d’augmenter – près de 12 000 en 2017. Ils demandaient la suppression du plafond de loups pouvant être tués, le maintien des tirs de prélèvement tout au long de la campagne ou encore l’abandon de la conditionnalité dans l’indemnisation des victimes.

Boycotts de réunions préparatoires, manifestations, tribunes et conférences de presse : le monde agricole aura tout tenté pour en infléchir le contenu. Les propositions du plan sont « totalement irresponsables et déconnectées de la réalité », avaient pourtant plaidé 450 signataires, parmi lesquels 24 parlementaires, des élus locaux et des bergers, dans une tribune incendiaire adressée à Emmanuel Macron et Edouard Philippe le 29 janvier. « Après vingt-cinq années d’expérimentation », la preuve est faite que « la cohabitation est impossible entre loups et troupeaux », assuraient-ils.

Le 25 janvier, en présentant ses vœux aux agriculteurs dans le Puy-de-Dôme, Emmanuel Macron avait plaidé pour remettre « l’éleveur au milieu de la montagne » en réfléchissant à la « place » du loup dans « des écosystèmes qui lui préexistent ». « Nous sommes tous attachés à la biodiversité mais le plan loup, il faut qu’il soit fait et pensé dans les territoires où on le décline », avait déclaré le chef de l’Etat, en disant vouloir se donner « tous les moyens de précaution » pour « protéger les troupeaux ».

« Freinage de la population »

Ni la pression des éleveurs, ni la mobilisation des associations n’y ont fait. Le texte n’a quasiment pas évolué par rapport à la version soumise à la consultation du public du 8 au 29 janvier, qui a recueilli près de 6 000 commentaires – 75 % d’entre eux sont favorables à la protection du loup, tandis que 25 % soutiennent l’élevage face à la prédation. Les avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), consultatifs, n’ont également pas été pris en compte. A l’issue d’une délibération le 12 janvier, ce comité scientifique avait émis un avis favorable au plan, bien que très sévère, et défavorable aux deux arrêtés.

« Ce plan s’inscrit dans un freinage de la croissance de la population de loups, qui va bien au-delà des possibilités réglementaires de déroger à sa protection », dénonçait le CNPN, en épinglant particulièrement une « banalisation des tirs de défense très inquiétante ». Il jugeait que le plafond de 40 loups qui pourront être tués en 2018 « devrait être sensiblement réduit » afin de ne pas nuire au « statut de conservation favorable » de l’espèce. Une nouvelle fois, ce plan ne referme pas le débat passionné qui entoure le loup en France.

Comment le loup a-t-il fait son retour en France ?
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