Mohammad Bagher Nobakht, le porte-parole du président Hassan Rohani, à Téhéran (Iran), le 15 février 2018. / ATTA KENARE / AFP

L’homme politique Mohammad Bagher Nobakht a plusieurs casquettes. Il est d’abord le chef de l’Organisation iranienne du budget et de la planification, mais aussi le porte-parole du président modéré Hassan Rohani, pris ces jours-ci dans la tourmente de la mort suspecte en prison du sociologue irano-canadien Kavous Seyed Emami. A presque deux semaines de la visite annoncée à Téhéran du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, Mohammad Bagher Nobakht répond aux déclarations de plus en plus dures de Paris contre Téhéran et exige des Européens qu’ils s’unissent pour « compenser » d’éventuels manquements américains sur l’accord nucléaire.

Le président français, Emmanuel Macron, a récemment fait part de son souhait de « mettre l’Iran sous surveillance en matière de balistique » et d’entamer des négociations dans ce sens. De telles négociations seraient-elles envisageables pour Téhéran ?

La position de la République islamique d’Iran a déjà été annoncée. Nous ne négocions ni sur notre sécurité nationale ni sur notre capacité de défense. Nous rejetons donc les déclarations de M. Macron à ce sujet.

Téhéran continuera-t-il à respecter ses engagements si Washington reconduit les sanctions économiques contre l’Iran pour le moment suspendues ?

Il est encore trop tôt pour répondre à une telle question. Pour nous, les pays impliqués dans l’accord forment un bloc. Dans le cas où l’un des pays ne respecte pas ses engagements, nous allons étudier de près les efforts employés par les autres pour compenser ces éventuels manquements. Mais soyez-en sûr : si nos intérêts nationaux ne sont pas remplis, nous ne resterons pas même un instant dans l’accord. Or nous ne serions jamais ceux qui rompront cet accord intergouvernemental. Nous ne ferions que répondre [aux autres parties].

Dans le cas d’un retrait américain de l’accord, qu’attendez-vous des pays européens, notamment de la France ?

Pour certaines raisons, Trump tient des propos qui s’écartent du contenu de l’accord. Nous n’attendons pas seulement de l’Union européenne, et de la France en particulier, qu’elles restent fidèles à l’accord mais qu’elles compensent [les éventuels manquements américains]. Compte tenu de la très ancienne culture et du passé de défenseur des libertés de la France, nous voudrions que M. Macron agisse de manière plus responsable. Et d’autant plus que Donald Trump s’est déjà montré capable de changer d’avis facilement, comme il a fait concernant l’accord de Paris sur le climat [fin août 2017, le président américain a signifié à l’ONU son retrait de cet accord avant de laisser entendre, en janvier, qu’il pourrait y revenir].

En début d’année 2018, une vague de contestation a gagné l’Iran, visant toutes les branches du pouvoir et touchant quelque 80 localités. Quels enseignements tirez-vous de ce mouvement ?

« S’il y a des contestations, nous devons écouter la parole de nos enfants »

Dans tous les pays des opinions divergentes existent. Après la révolution de 1979, pour démocratiser notre système, nous avons organisé un référendum. Le dernier recours au vote populaire a eu lieu il y a quelques mois [la dernière présidentielle, en mai 2017]. 40 millions d’Iraniens ont voté en Iran et à l’étranger. Le président Hassan Rohani a été réélu [avec une majorité de 57 %]. Nous bénéficions d’un soutien populaire et d’une légitimité obtenue grâce aux voies légales. Nous formons une famille : s’il y a des contestations, nous devons écouter la parole de nos enfants, même si parfois ils haussent le ton pour faire respecter leurs droits. Nous devons être plus tolérants, les écouter et satisfaire, avec nos moyens, leurs revendications sociales et économiques.

Dans son discours du 13 février, prononcé à l’occasion de l’anniversaire de la révolution de 1979, le président Rohani a parlé de son souhait d’avoir recours à un « vote populaire » pour régler certains différends entre les pouvoirs judiciaire, présidentiel et législatif. A quels sujets faisait-il allusion ?

Le président Rohani faisait référence à l’article 59 de la Constitution iranienne [qui donne au président le pouvoir d’organiser des référendums pour des questions essentielles]. Son message a été adressé aux jeunes iraniens pour leur rappeler que la Constitution permet beaucoup de choses et que s’il y a des problèmes, c’est parce que tous ses articles ne sont pas appliqués. Le chef de l’Etat a voulu dire : « Il est normal d’avoir des vues divergentes. Mais pourquoi s’affronter les uns les autres ? Lorsqu’il y a des différends, réglons-les grâce à cet article de la Constitution. » Hassan Rohani voulait aussi rappeler à l’occasion de l’anniversaire de la révolution que si notre système politique est toujours en place après près de quarante ans et malgré la guerre, les sanctions et l’assassinat de figures politiques, c’est bien qu’il est démocratique et flexible.

Après des décès en prison présentés comme des suicides, Hassan Rohani a annoncé la mise en place d’un Comité constitué de trois ministres et de sa vice-présidente chargée des questions juridiques. Comment le président pourra-t-il agir dans les domaines qui concernent l’institution judiciaire et les gardiens de la révolution ?

M. Rohani a deux responsabilités : il est le chef du pouvoir présidentiel, le poste le plus important après celui du Guide suprême [Ali Khamenei], et il est responsable de l’application de la Constitution. Le plus important, c’est qu’il tient son mandat du peuple et qu’il s’adressera au peuple. Il est de notre responsabilité de protéger la vie des prisonniers. Ils doivent être punis selon leur condamnation. Pas plus.