Documentaire sur Arte à 23 h 40

Ses photos sont un miroir tendu à l’Amérique. Des rues, des paysages, des visages de riches et de pauvres, de citadins et de ruraux, de Blancs et de Noirs saisis dans ­l’objectif comme autant de sentiments intérieurs. Cinéaste, auteur de nombreux films expérimentaux, Robert Frank a surtout laissé sa trace dans la photographie. Et un livre de référence, d’influence même, Les Americains, publié en 1958 en France par Robert Delpire puis l’année suivante aux Etats-Unis.

Dans le documentaire intimiste qui lui est consacré, à la fois foutraque, méticuleux et chaleureux, à son image en quelque sorte, le nonagénaire malicieux – il est né à Zurich en 1924 et a débarqué en Amérique après la seconde guerre mondiale – déroule le film de sa longue et très riche existence. Il revient, notamment, sur le processus ayant abouti aux Americains : neuf mois de travail, 16 000 kilomètres parcourus, 30 Etats traversés, 767 rouleaux de pellicule, 27 000 images. Parfois, des problèmes avec la police, qui, à l’époque, pense qu’un type venu de New York pour prendre des photos du côté de Detroit est forcément un communiste.

« Agir vite, au plus près »

Finalement, Frank sélectionnera 83 clichés, tous remarquables. Mais, à la sortie du livre, il s’attirera plutôt de féroces critiques : « Un poème triste pour pervers », « Flou absurde, livre sale », « L’Amérique vue par un type sans joie qui la déteste ! » En se rappelant cet accueil violent, Frank sourit : « Ce voyage m’a appris à aimer l’Amérique. Cela a mis au moins dix ans avant que le livre ait du succès. Pour faire une bonne photo, il faut agir vite, au plus près. Je prenais les gens avant qu’ils ne remarquent l’appareil. Souvent, la première photo est la meilleure… »

Son père était un bon photographe amateur. Et le tout premier cliché du très jeune Robert Frank aura pour modèle une église zurichoise. Mais c’est le grand Walker Evans (1903-1975) qui encouragera Robert Frank a en faire son métier. « Après-guerre, l’Amérique était un pays fantastique pour nous qui arrivions d’Europe. Tout était possible, il n’y avait qu’à essayer », lance-t-il, sourire en coin. Des premières piges dans le magazine féminin Harper’s Bazaar à la consécration artistique, sa vie sera faite de prises de risque, de panache, d’amitiés solides, de drames familiaux et d’envies toujours renouvelées de travailler l’image, fixe ou animée.

Le photographe américain Robert Frank. / © ED LACHMAN

Porté par une formidable bande-son (Tom Waits, Patti Smith, Lou Reed, John Cale, Charlie Mingus…), le documentaire propose notamment de nombreux extraits de films signés Robert Frank. Expérimentaux, étranges, mettant en scène William S. Burroughs ou Mick Jagger, des amis ou des inconnus, ils n’ont pas rencontré le même succès que ses photos.

Mais, durant un demi-siècle, entre 1959 et 2009, Frank n’a pas cessé de tourner. Evoquant pêle-mêle ses amitiés notamment avec Jack Kerouac, Allen Ginsberg et le mouvement beatnik, son ­travail, sa jeunesse en Suisse, ses deux enfants tragiquement disparus, sa famille, sa vision de l’Amérique et du monde, son bonheur de partager désormais sa vie entre New York et sa maison refuge de Mabou, en Nouvelle-Ecosse (Canada), Robert Frank n’oublie rien. Et garde presque tout. « Les gens qui vivent en marge de la société m’ont toujours intéressé », confie-t-il. Archives, interviews, extraits de films, le documentaire de Laura Israel tente, avec succès, de capter les émotions de l’artiste, qui, d’une phrase, résume une existence : « Je crois au travail. C’est comme cela que l’on fait face au destin. »

Robert Frank, l’Amérique dans le viseur, de Laura Israel (EU, 2015, 50 min).