L’ONG Sherpa a déposé plainte contre X, mardi 20 février, pour entrave à la justice, accusant le cimentier Lafarge de ne pas collaborer avec les enquêteurs.

Lors d’une perquisition les 14 et 15 novembre à Paris chez Lafarge, mis en cause pour avoir financé des groupes djihadistes en Syrie — dont l’organisation Etat islamique — pour continuer à faire tourner sa cimenterie dans le pays en guerre, les enquêteurs se sont heurtés à « une volonté de voir la manifestation de la vérité entravée et empêchée », relève l’association dans sa plainte.

Des ordinateurs passés à l’eau de Javel

L’ONG s’appuie sur plusieurs procès-verbaux rédigés par les enquêteurs. Cette perquisition s’est déroulée dans « un climat de tension permanente », notent-ils le 17 novembre. « Un certain nombre de documents dont l’existence est avérée (…) étaient manquants : les PV du conseil d’administration s’arrêtaient en juin 2013, juste avant la période intéressant l’enquête en cours. Dans les classeurs des rapports d’audit, les fiches détaillées sur la Syrie avaient disparu », soulignent-ils.

Lafarge « ment quand il affirme pleinement collaborer avec les enquêteurs », avait dénoncé en décembre lors d’une conférence de presse, Marie Dosé, avocate de l’ONG, qui représente onze anciens employés syriens de l’usine. Avant la perquisition, « les ordinateurs ont été passés à l’eau de Javel pour empêcher la justice de travailler », avait-elle accusé.

« Nous contestons fermement que la société ait cherché à restreindre de quelque manière que ce soit le droit de ses employés ou ex-employés de se défendre dans une procédure judiciaire, a déclaré à l’Agence France-Presse une porte-parole du cimentier, qui a fusionné avec le Suisse Holcim en 2015. Des milliers de pièces ont été remises aux juges par le groupe ou saisies à l’occasion de la perquisition. »

Près de 13 millions d’euros versés à des groupes armés syriens

Les liens troubles entre le géant du ciment et différents groupes armés présents autour de son usine de Jalabiya, dans le nord de la Syrie, avaient été révélés par Le Monde en juin 2016. Le scandale avait conduit le ministère des finances à déposer une plainte, déclenchant l’ouverture d’une enquête en octobre 2016. Un mois plus tard, l’ONG Sherpa déposait à son tour une plainte avec constitution de partie civile, et l’enquête était finalement confiée à trois juges d’instruction, le 9 juin 2017.

Depuis, six cadres et responsables du cimentier ont été mis en examen en décembre 2017 pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « financement d’une entreprise terroriste ». Parmi eux, l’ex-PDG de Lafarge Bruno Lafont et l’ex-directeur général de LafargeHolcim Eric Olsen, une première pour de grands patrons français.

Au total, 12,946 millions d’euros auraient été versés entre 2011 et 2015 par Lafarge à l’ensemble des factions armées (pour assurer le passage de ses employés, l’achat de matières premières, dont du pétrole…), d’après un rapport du cabinet d’expertise comptable PricewaterhouseCoopers.