Le cinéaste iranien Keywan Karimi au Cinéma des cinéastes, à Paris, le 19 février 2018. / DR

On ne l’empêchera pas de tourner. Depuis le début des années 2010, le cinéaste Keywan Karimi, né dans le Kurdistan iranien, a des ennuis avec la justice de son pays pour avoir tourné un documentaire sur les graffitis, Writing on the City (bande-annonce visible sur Vimeo), racontant l’histoire politique de Téhéran depuis la révolution de 1979. Le jeune réalisateur a été arrêté, questionné, puis condamné en octobre 2015 à six ans de prison et à 223 coups de fouet pour « insulte envers les valeurs du sacré » et « propagande » contre le régime iranien – une peine ramenée à un an de prison en 2016, en plus des coups de fouet. Son histoire a fait le tour du monde, comme celle des autres cinéastes iraniens condamnés ces dernières années, tels Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof.

Avant de purger sa peine, Keywan Karimi voulait à tout prix tourner son premier long-métrage de fiction, Drum, adapté du roman éponyme d’Ali-Morad Fadaei-Nia, sur le thème de la peur. Il l’a tourné et monté en l’espace de trois mois au printemps 2016, grâce à l’aide de son producteur François d’Artemare, avec lequel il travaillait à distance. Le film a ensuite été sélectionné au Festival de Venise en septembre 2016.

A l’occasion de la projection de Drum, film expressionniste en noir et blanc, au Cinéma des cinéastes, à Paris, lundi 19 février, Keywan Karimi nous raconte sa vie de réalisateur qui ne sait jamais quand le couperet va tomber. Juste avant que la salle ne plonge dans l’obscurité, il a demandé aux spectateurs de se lever et d’applaudir en hommage aux « combattants kurdes qui se sont battus contre l’Etat islamique et ont été victimes de bombardements ».

« Prêt à aller en prison »

« Je fais mes films, j’assume et je suis prêt à aller en prison. Je ne veux pas m’exiler », déclare-t-il au Monde. Le tournage de Drum s’est fait sans autorisation gouvernementale. « Quand un policier venait nous contrôler, un de mes amis montrait son titre de tournage pour un autre film », sourit-il. A l’issue du tournage, alors que le film venait d’être sélectionné à la Mostra de Venise, il a été convoqué par les autorités iraniennes. « Les juges n’ont pas voulu me mettre en prison pendant le festival, car ça aurait fait trop de publicité au film », grince-t-il.

Finalement il a été incarcéré à Erevan en novembre 2016, jusqu’au printemps 2017. « Je suis tombé malade en prison, une sorte de pneumonie. Les autorités iraniennes ne voulaient pas que je meure. J’ai pu sortir en liberté conditionnelle en avril 2017. Mais on m’a prévenu : si je commets un crime dans l’exercice de mon métier de cinéaste, je serai à nouveau condamné, et on me rajoutera les cinq ans que l’on m’avait enlevés en appel. »

Keywan Karimi : « Les gens veulent le changement. Ils veulent une République, mais pas islamique »

Qu’est-ce qu’un crime dans l’exercice de son métier ? Le réalisateur, âgé de 33 ans, sourit : il ne le sait pas. A propos des manifestations qui ont eu lieu dans son pays, en janvier, il tient à faire cette précision : « On a beaucoup lu dans les journaux européens que les Iraniens descendaient dans la rue pour des raisons économiques, mais ce mouvement est aussi profondément politique. Les gens veulent le changement. Ils veulent une République, mais pas islamique ».

Il y a deux mois, Keywan Karimi a demandé aux autorités iraniennes l’autorisation de sortir en salle son film Drum. Il vient tout juste de recevoir une réponse négative. « On m’a annoncé qu’il n’y aurait pas de sortie en salle, au motif que la qualité du film n’est pas bonne. Depuis sept ans, aucun de mes films n’a été projeté dans mon pays ». Le cinéaste va séjourner en France six ou sept mois, afin de préparer son prochain film. « Puis je rentrerai à Téhéran en décembre pour le tourner, avec les mêmes acteurs non professionnels de Drum. Ils m’attendent. »