Les bureaux du studio de jeux vidéo Ivory Tower, appartenant à Ubisoft, à Villeurbanne (Rhône), le 29 novembre 2017. / PHILIPPE DESMAZES / AFP

Comme chaque année, Jonathan Jalouzot réclamera une confortable augmentation de salaire. Et comme chaque année, il l’obtiendra. Développeur, spécialisé dans l’architecture de sites à fort trafic, le trentenaire peut être confiant. « Généralement, assure-t-il, je reçois même plus que ce que je demande. » Employé depuis cinq ans dans la même société de services en ingénierie informatique (SSII), il a vu sa rémunération progresser régulièrement de 10 à 15 %. Une croissance conforme aux chiffres évoqués en janvier par le cabinet de recrutement international Robert Walters.

Les développeurs restent, en effet, les rois du marché de l’emploi. Très demandés, très bien payés, ils profitent à plein de la mue numérique des entreprises et de l’embellie économique. Les étudiants d’écoles comme Epitech sont assurés de trouver un poste une fois diplômés, et 95 % sont embauchés directement en CDI. D’après le site d’Epita, une formation concurrente, le salaire brut annuel moyen à la sortie de l’école avoisine, en France, 43 000 euros, primes comprises. « Il n’est pas rare qu’une même SSII embauche toute une promotion. Le marché est tellement tendu qu’elle est sûre de réussir à vendre tout le monde à ses clients », observe Jonathan Jalouzot.

Pénurie de cerveaux

Conscients de leur rareté, les jeunes n’hésitent pas à faire monter les prix lors des entretiens. « Pour peu qu’ils aient un peu d’intelligence artificielle, de machine learning et de data science dans leur profil, certains demandent 45 000 euros, alors qu’ils n’ont à faire valoir comme expérience qu’un stage de 6 mois », déplore un recruteur. Les candidats sont d’autant moins complexés qu’ils ont l’embarras du choix : tous les secteurs du numérique sont touchés par la pénurie de cerveaux. Les plus offrants, en 2018, devraient se trouver dans la cybersécurité et les fintech, d’après les enquêtes.

Le tarif moyen, facturé à une société cliente pour une journée de prestation, peut varier en fonction des langages informatiques maîtrisés (PHP, JavaScript, Python, C…) et des frameworks (structures logicielles). Il est toutefois globalement en hausse, tiré par l’essor des développeurs « freelance » – installés à leur compte – qui peuvent espérer être payés 20 % de plus qu’en étant salariés. Malgré les contraintes administratives que ce changement de statut implique, ils sont de plus en plus nombreux à sauter le pas, d’autant que les recruteurs s’adressent directement aux candidats repérés grâce à leurs profils sur des réseaux comme LinkedIn ou Viadeo.

« En position de force »

Ces sollicitations, constantes, favorisent les changements de postes. Un turnover qui permet aux intéressés d’obtenir des hausses de salaires plus fortes que lorsqu’ils restent dans la même entreprise. Développeur depuis dix ans, José-Hugues Pommier a progressé ainsi, au gré des CDI. « La dernière fois, je n’étais pas pressé, je savais que j’étais en position de force pour négocier, explique-t-il. Je demandais 60 000 euros et je pouvais me permettre d’être exigeant sur la technologie, le domaine d’application, les vacances et la localisation. »

Des conditions qui compliquent singulièrement la vie des patrons de start-up, qui n’ont pas les mêmes moyens pour embaucher que les grandes entreprises. Directeur technique d’Extracadabra, une application mobile pour restaurateurs et hôteliers qui fait travailler dix-huit personnes, Vivien de Saint-Pern raconte avoir mis deux mois pour trouver un développeur. Il recherchait quelqu’un ayant un peu d’expérience.

Une fois qu’ils sont dans les murs, encore faut-il réussir à garder ces perles rares. La pression est telle que « ceux qui veulent maximiser leurs salaires rapidement peuvent toujours trouver mieux ailleurs », observe Tristan Verdier, fondateur de la start-up Eventmaker.io. Lui a fait le pari de fidéliser ses équipes en les faisant travailler sur « de bonne technologies » et en clarifiant le système de rémunération, avec des hausses liées à la progression du chiffre d’affaires. Mais la concurrence va rester rude. « C’est comme dans le foot, reconnaît le jeune patron. Il y a les écoles de formation, où les gros clubs viennent se servir. Heureusement pour nous, les boîtes qui payent beaucoup ne sont pas toutes aussi intéressantes que le PSG ! »