Sur scène, Nekfeu, leadeur du groupe S-Crew, déclare : « Ce concert, ce soir, c’est pour mes mauvaises graines. » Champion toutes catégories du rap français en 2016 et 2017, il est revenu expressément du Japon, où il vit désormais, pour participer au Hip-Hop Convict, le mardi 20 février, à la salle Pleyel de ­Paris, après avoir donné un concert à la prison de Nice, le 15 février. En sa compagnie, le rappeur du 18e arrondissement Georgio a repris du service alors que sa tournée s’était arrêtée en décembre 2017. Enfin, l’autre espoir du rap français, Dinos Punchlinovic, a également répondu présent à l’appel de l’association Fu-Jo, qui organise depuis dix ans des concerts dans les ­prisons parisiennes et du sud de la France.

Nekfeu-Mauvaise graine (lyrics-paroles)
Durée : 03:25

Depuis 2014, l’association, créée par l’ancien détenu Mouloud Mansouri, finançait sa trentaine d’actions culturelles annuelles en prison grâce à des subventions des pouvoirs publics – à hauteur de 60 000 euros. Mais l’annulation récente de l’aide de la région PACA, son principal soutien, ne lui permet plus de pérenniser ses actions : « Même si les ­artistes viennent jouer gratuitement, ­explique en coulisses ­Mouloud Mansouri, un concert en prison coûte entre 5 000 et 8 000 euros, plus environ 4 000 euros pour la tenue d’un atelier de musique ou d’écriture. Il faut payer les techniciens, louer le matériel et prendre en charge les déplacements et les hôtels des intervenants. Avec trente actions par an, le calcul est vite fait. »

Nekfeu lors du Hip-Hop Convict, à la salle Pleyel, à Paris, le 20 février 2018. / ALLEYEZONIT

Stand-up et bande dessinée

En 2008, Fu-Jo a commencé à organiser des concerts de rap en prison, une nouveauté à l’époque, pour répondre aux attentes des détenus. Puis elle a élargi son action à la pop avec Cali, Grand Corps Malade ou L.E.J. En 2013, à la maison d’arrêt de Luynes, proche d’Aix-en-Provence, Mouloud Mansouri avait même réussi à monter un groupe de rap avec des détenus et leur faire enregistrer un disque. Ce dernier, Shtar Academy, avait remporté un succès critique.­Depuis 2016, Fu-Jo fait aussi venir des humoristes à l’occasion d’ateliers stand-up à la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine), et organise des actions autour de la bande dessinée.

Shtar Academy - Les Portes du Pénitencier (feat. Nemir, Nekfeu, Soprano & Alonzo (Psy 4))
Durée : 04:07

Mise en danger par la baisse de ses subventions, l’association a fait appel à ses premiers soutiens : les artistes. « J’ai envoyé des mails à tout le monde, résume Mouloud Mansouri, Nekfeu a été le premier à répondre. Les chanteuses L.E.J, elles, se sont même proposées pour aider à organiser un deuxième concert dans le sud de la France. Ce n’est pas toujours ceux qu’on attend qui répondent les premiers. Ces artistes ne viennent pas chercher de la street credibility en jouant en prison, mais une expérience nouvelle. »

Depuis 2012, Mouloud Mansouri estime que les conditions pour organiser ses concerts se sont durcies : « Avant, l’administration pénitentiaire se contentait de vérifier les casiers judiciaires des artistes, aujourd’hui elle exige de lire les textes. Seulement, un rap ne peut pas être que lu, il faut prendre en compte la technique du rappeur… » Mardi soir, à Pleyel, Nekfeu et son S-Crew n’en ont pas manqué, pas plus que de cœur.

Hip-Hop Convict, le 4 mai, ­à Six-Fours-les-Plages (83), avec Disiz, Nemir et L.E.J. fr-fr.facebook.com/HipHopConvictSupport