Maurice Manificat, à l’extrême droite, a mis en doute les résultats du Russe Denis Spitsov, à l’extrême gauche. / JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Décimée par les conclusions du rapport du professeur Richard McLaren sur le dopage organisé en Russie, l’équipe masculine de ski de fond russe fait mieux que surnager lors des Jeux olympiques de Pyeongchang. Elle a placé l’un de ses représentants sur le podium dans quatre des cinq épreuves disputées jusqu’à présent et Denis Spitsov et Alexandre Bolchounov ont conquis, mercredi 20 février dans le sprint par équipes, leur troisième médaille, en argent.

Les performances du premier nommé, âgé de seulement 21 ans, ont éveillé un intérêt teinté d’inquiétude. Ses résultats dans les championnats du monde Espoirs, juste avant les Jeux (une médaille d’or et une d’argent), laissaient deviner sa forme, mais le jeune homme n’a débuté, dans le grand bain, pour la Coupe du monde, qu’il y a deux mois. Personne ne s’attendait à le voir devancer des fondeurs établis et ramasser trois médailles, en plus de la quatrième place du skiathlon.

Le Français Maurice Manificat, devancé d’une place par Spitsov dans chacune de ses épreuves (skiathlon, 15 km libre et sprint par équipes), a été le premier à mettre des mots sur le malaise. Cité mercredi par le quotidien suédois Expressen, le Français déclare : « Je ne suis pas surpris de ses résultats ici. Il a été fort ces dernières semaines. Et ça ne me dérange pas qu’il soit là. Nous verrons dans quatre ans s’il y a des histoires. »

« On a du mal à leur faire confiance »

Relancé sur le sujet après sa troisième place dans le sprint par équipes (derrière les Athlètes olympiques de Russie, c’est-à-dire Spitsov et Bolchounov), Manificat a précisé :

« Les Russes ont un passé, ça fait vingt, trente ans qu’ils n’ont toujours pas compris la leçon sur le dopage. Donc forcément, on a du mal à leur faire confiance. Et la rédemption, on ne l’obtient pas en une course, en une épreuve. Moi, je leur fais confiance, c’est une jeune génération, on a envie de croire qu’ils sont honnêtes, qu’ils travaillent dur. On a l’impression qu’ils essayent de se racheter… Mais voilà, il faut attendre, parce qu’à chaque fois les histoires ne sortent pas maintenant, elles sortent plus tard, quand les tests décèlent d’autres choses. Donc, j’ai dit : il faut attendre. Je crois… Non, j’ai envie de croire en leur performance. Mais la rédemption, on ne l’a pas comme ça en une course, on ne s’excuse pas comme ça d’un coup, tout va bien, le monde est rose. Donc, on verra. »

Interrogé par Expressen, l’entraîneur de l’équipe russe, Markus Cramer, a défendu la probité de sa jeune équipe et déploré les mots de Maurice Manificat.

Denis Spitsov a devancé Maurice Manificat de quatre secondes dans l’épreuve du 15 km libre. / MURAD SEZER / REUTERS

Plusieurs fondeurs russes, dont l’ancien protégé de Markus Cramer, Alexandre Legkov, ont été convaincus de dopage à la suite des révélations de l’ancien responsable du laboratoire de Moscou, Grigori Rodchenkov. Ils ont été, avant l’ouverture des Jeux, blanchis par le Tribunal arbitral du sport. Le ski de fond était, selon le Dr Rodchenkov, l’un des sports les plus concernés par le dopage organisé dans le sport russe.

« Si, en plus, on dit des choses fausses pour mettre la suspicion… »

Ce n’est pas la première fois que Maurice Manificat, premier triple médaillé olympique du ski de fond français, est amené à s’exprimer sur le dopage à Pyeongchang.

La conférence de presse des fondeurs français, avant leur entrée dans la compétition, avait largement été consacrée aux révélations du Sunday Times et d’ARD sur la profusion de valeurs sanguines anormales dans leur sport dans les années 2000.

Les données confidentielles obtenues par plusieurs médias européens montraient des variations sanguines suspectes principalement chez les médaillés et à l’approche des grands championnats. « Environ un tiers de toutes les médailles – soit 313, dont 91 en or – des Jeux olympiques et des championnats du monde depuis 2001 ont été remportées par des skieurs qui présentent des résultats de test suspects », avaient estimé les deux chercheurs ayant eu accès à ces données.

Les Russes arrivaient en première position des résultats anormaux devant les Norvégiens. Mais la France ne sortait pas indemne de cette enquête, loin de là. Le Sunday Times estimait que 18 athlètes tricolores présents dans la base, soit pas moins de 29 % d’entre eux, avaient au moins une valeur sanguine suspecte. « Je garde mon calme mais j’ai un peu envie de frapper tout le monde !, avait alors lâché Maurice Manificat à une poignée de journalistes. Ça nous fait vraiment chier, notre sport est très peu connu, si en plus on dit des choses fausses pour mettre la suspicion… »

« Il n’y a pas de dopage, il n’y a pas d’info ! », avait ajouté Maurice Manificat, une assertion sans doute excessive au vu des chiffres inquiétants contenus dans cette base de données.

Comme l’avait révélé Le Monde le 11 février, après avoir eu accès à ce document, Maurice Manificat est bien présent dans cette base de données avec sept contrôles répartis de mars 2007 à février 2009, au début de sa carrière.

Dans les trois paramètres recensés – hémoglobine, taux d’hématocrite et de réticulocytes jeunes globules rouges –, les valeurs de Maurice Manificat sont stables au fil des mois et cohérentes l’une avec l’autre, tout à fait dans les normes. Le Français ne figure donc pas parmi les 18 skieurs jugés suspects par le Sunday Times.