Eric Dupond-Moretti avait une mission, épargner la prison à Jérôme Cahuzac ; un objectif, démonter consciencieusement le réquisitoire de l’avocat général qui avait réclamé trois ans ferme contre son client ; et un moyen, rappeler que derrière l’ancien ministre haï, il y avait aussi un type qui n’avait tué personne et qui en bavait déjà depuis cinq ans. L’avocat a su se garder des excès des plaidoiries d’assises, a renvoyé quelques balles bien senties au parquet général et soulevé quelques arguments de bon sens.

C’est Jean-Alain Michel qui a plaidé le premier, mercredi 21 février, au dernier jour du procès en appel de Jérôme Cahuzac, accusé de fraude fiscale et blanchiment. Condamné, le 8 décembre 2016, à trois ans d’emprisonnement et cinq ans d’inéligibilité, l’ancien ministre de budget en risquait sept ; son ex-épouse Patricia, qui a encore fraudé le fisc davantage que lui, n’a été condamnée qu’à deux ans de prison : une peine aménageable, qu’elle purge avec un bracelet électronique. Tout l’enjeu pour Jérôme Cahuzac est donc d’obtenir une condamnation, qu’il ne conteste pas, de moins de deux ans ferme, même s’il prend plusieurs autres années avec sursis.

Me Michel est un ami de Jérôme Cahuzac, il ne le cache pas. « Je vous ai maudit, monsieur Cahuzac, je t’ai maudit, Jérôme. Pas toi, pas ça, a attaqué l’avocat. Celui qui nous a présentés doit se retourner dans sa tombe. C’est le procès de la trahison, c’est vrai. »

L’avocat a rappelé le travail de son ami auprès de Claude Evin, l’ancien ministre rocardien, la réforme des officines pharmaceutiques, des radiologues, la loi Evin contre le tabac et l’alcool, et les haines recuites qu’elles ont engendrées : Cahuzac a trouvé un jour sur son paillasson des poches de sang contaminé.

Cahuzac « n’a jamais touché à cet argent »

L’avocat ne doute pas que « la cagnotte » amassée en Suisse devait servir à la campagne de Michel Rocard, « ça ne peut pas être en si peu de temps le fruit de son travail », et il « n’a jamais touché à cet argent ». Le premier ministre limogé, le chirurgien l’a payé cher : « Le poste qui lui était promis à l’hôpital a été supprimé, il a eu un contrôle fiscal dans les quinze jours » – d’ailleurs assez peu efficace, semble-t-il.

Restent les mensonges, « la déclaration suicidaire » devant l’Assemblée nationale : Me Michel a essayé de montrer qu’il ne savait plus comment s’en sortir, en en appelant à Oscar Wilde – « la vérité est rarement pure, et jamais simple » – et à un beau proverbe persan : « Donne un cheval à celui qui dit la vérité, il en aura besoin pour s’enfuir. » « Jérôme Cahuzac ne s’est pas enfui », a conclu l’avocat.

C’est le tour de Me Dupond-Moretti. La salle d’audience était trop petite pour accueillir tous les curieux qui se bousculent à la porte. Il a classiquement un peu enfoncé son client pour mieux lui sortir la tête de l’eau. « Jérôme Cahuzac n’est pas un ami, a commencé l’avocat. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il était planqué dans un appartement parisien, avachi sur un canapé, humilié, honteux. Je l’imaginais arrogant, je le maudissais comme citoyen pour ses rodomontades contre les fraudeurs. Il m’a dit, “je n’ai aucune excuse”. » MDupond-Moretti : « Vous n’avez tué personne. » Cahuzac : « Si, ma famille et moi-même. »

Liliane Bettencourt et Johnny Hallyday

Comme il n’est pas facile d’attendrir une cour d’appel, Me Dupond-Moretti a ensuite tiré à boulets rouges sur l’avocat général, qu’il a trouvé « gratuitement méchant » : le magistrat avait résumé le passé du prévenu à un mensonge, et son avenir « à une jurisprudence ». Le mot était cruel. La jurisprudence, justement.

L’avocat a relevé une douzaine de cas de fraudeurs, qui ont distrait au fisc des sommes comparables (450 000 euros dissimulés pour le couple Cahuzac en vingt ans, autour de 200 000 pour le seul ministre) : les peines s’échelonnent de quatre mois avec sursis à un an de prison avec sursis – « certes, cela ne concerne pas des ministres du budget », a concédé Me Dupond-Moretti, mais il y a trouvé un député, un sénateur, un joueur de foot, et même « un procureur qui n’a pas payé d’impôts pendant quatre ans » (sourire à monsieur l’avocat général, dont il a salué la bibliothèque, « que nous avons passée en revue », le magistrat ayant égayé son réquisitoire d’un doigt de Balzac, d’un zeste de Flaubert ou d’une larme de Hugo).

« S’il avait pu se débarrasser de ce pognon ! Il l’a traîné comme un boulet. » Eric Dupont-Moretti

Le parquet général avait justifié la peine réclamée par « la rupture de l’équilibre social ». L’avocat lui a répondu :

« Bien sûr, il est indispensable de faire de la morale publique. Mais est-ce qu’on ne rompt pas l’équilibre social lorsqu’on ne poursuit pas Mme Bettencourt qui a caché 100 millions d’euros dans des paradis fiscaux ? Ou quand on rend un hommage national à une vedette [Johnny Hallyday] qui a changé de nationalité pour échapper à l’impôt ? C’est vrai qu’on a besoin de héros et de donner des coups de pied à ceux qui incarnent le mal absolu. »

« Lorsqu’il avait triché, qu’est-ce qu’il pouvait faire d’autre que mentir ? soutient Me Dupond-Moretti. Aucun de ceux qui sont allés à la cellule de dégrisement fiscal n’a échappé à l’opprobre, ça aurait été un suicide professionnel. S’il avait pu se débarrasser de ce pognon ! Il l’a traîné comme un boulet. »

L’avocat « ne demande pas la lune » : « Je vous demande même d’aggraver la peine, mais je vous supplie de ne pas l’envoyer en prison. La sanction sociale répond déjà à la peine. Oui, c’est une affaire exceptionnelle, mais il a été exceptionnellement puni. » Et Me Dupond-Moretti a puisé à son tour dans la littérature, avec Bernanos : « La liberté est partout en péril, et je l’aime. Au point qu’elle ne me paraît pas seulement indispensable pour moi, car la liberté d’autrui m’est aussi nécessaire. » Décision le 15 mai.

Le jour où Cahuzac a menti à l’Assemblée nationale
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