Euphorique, Marie Dorin fait le show sur le podium du relais mixte après la « cérémonie des peluches ». / MURAD SEZER / REUTERS

« De l’orrrrrr, de l’orrrrr ! » Elle hurle en roulant les R à la Edith Piaf, comme si elle l’avait cherchée tout sa vie, cette médaille d’or olympique. Marie Dorin, la plus euphorique parmi les quatre champions olympiques du relais mixte de biathlon, secoue par les épaules sa copine Anaïs Bescond, câline son ami Martin Fourcade, laisse le discret Simon Desthieux, comme perché après consommation de psychotropes, dans sa propre galaxie. Mardi 20 février, l’espiègle aînée de l’équipe de France a ouvert le relais mixte par une course parfaite, parachevée une heure plus tard par Martin Fourcade, désormais quintuple champion olympique. Le dénouement improbable à la pire saison de sa carrière. « A un moment, je ne savais même pas si j’allais être sélectionnée pour les Jeux olympiques et je n’étais pas du tout prévue sur le relais mixte. Vous imaginez bien que quand j’ai eu ma place, c’est devenu l’objectif de l’année ! »

En janvier, alors qu’elle était incapable d’avancer à skis, Marie Dorin a été mise au repos. Un surentraînement et l’épuisement de ses réserves physique, après dix ans de carrière, l’avaient vidée : « Je pense qu’à un moment, j’avais mangé toute ma feuille, il n’y avait plus rien. On a pris la décision de se reposer. En fait, je ne fais rien ce moment, je ne m’entraîne vraiment pas beaucoup. Je suis sur un fil. » Elle a coupé trois semaines, a couru deux fois fin janvier, en Italie, pour obtenir in extremis sa qualification, et pris quelques jours de repos en famille, loin de la montagne et de ses problèmes de tir, avant de partir pour les Jeux.

Fourcade : « Une immense et belle leçon »

La petite blonde de 31 ans est arrivée radieuse en Corée du Sud, parlait d’« échanges », de « souvenirs », de « profiter de la joie des médailles des autres », comme si elle s’apprêtait visiter du pays et passer du ski alpin au patinage avec une doudoune du Comité olympique français. Elle ? « J’ai l’impression d’être “pied-tôle” mais qu’il n’y a pas de gaz. J’adorerais me faire plaisir, remonter dans mon estime personnelle. Mais je ne parle pas de médaille, vrament pas. » Quarante-huit plus tard, elle finissait quatrième du sprint, à sept secondes du podium.

« Si tu joues au foot et que Zidane vient te voir en me disant qu’il compte sur toi, ça va te faire quelque chose. »

Comme si rien ne pouvait se faire sans lui dans le biathlon français, Martin Fourcade a eu sa part dans la résurrection de Marie Dorin. Leurs deux familles, voisines de 100 mètres dans les hauts de Villard-de-Lans (Isère), petite station du Vercors, partent en vacances ensemble. «  Il joue un vrai rôle parce qu’il croit en elle, réellement, et il le dit, explique l’ancien biathlète Loïs Habert, mari et ex-entraîneur de la championne olympique. Marie le sent, l’entend et se sent en confiance. Si tu joues au foot et que Zidane vient te voir en me disant qu’il compte sur toi, ça va te faire quelque chose. »

Mardi soir, médaille d’or autour du cou, Fourcade lui rendait hommage : « Lorsqu’on a gagné et été en haut de l’affiche pendant cinq ans comme elle, il faut avoir une grande classe et une grosse humilité pour accepter les tôles et les déceptions, pour ne pas se faire détruire et ne pas tout envoyer bâcher. C’est une immense et belle leçon. »

Un jour, un psychologue du sport se penchera sur le cas de Marie Dorin. On gage qu’il n’y comprendra rien. Comment cette sportive aussi émotive, altruiste et affichant un tel manque de confiance en soi a pu, en dix ans de carrière, se constituer le plus beau palmarès du biathlon féminin français ? Cette médaille d’or olympique s’ajoute à l’argent (relais femmes) et au bronze (sprint) de Vancouver en 2010 mais aussi quatre titres de championne du monde en individuel et...11 médailles mondiales en relais.

En 2015, à Kontiolahti, Marie Dorin-Habert remporte le deuxième de ses cinq titres de championne du monde, sur la poursuite. / AFP/KIRILL KUDRYAVTSEV

A l’aise dans la pénombre

L’ombre portée de Martin Fourcade ne lui a laissé que peu de lumière, hormis dix jours bénis de mars 2016 où, dans le temple du ski nordique à Oslo-Holmenkollen, elle monte sur le podium de chacune des six courses disputées. La pénombre médiatique lui convenait. A la première occasion où l’encadrement de l’équipe de France l’a incitée à se poser en patronne du groupe féminin et annoncer ses ambitions, au printemps 2016, « elle s’est vautrée lamentablement et ça a été hyper dur pour elle », rappelle Loïs Habert.

« Lorsqu’elle gagne une course, elle dit que c’est parce que les autres n’ont pas été bonnes »

Elle le répète inlassablement : pour qu’elle brille, il faut que ses rivales fassent des fautes. Comme s’il lui avait échappé que c’était le principe du sport. « Marie, lorsqu’elle gagne une course, elle dit que c’est parce que les autres n’ont pas été bonnes ou qu’elle avait les meilleurs skis, résume Stéphane Bouthiaux, patron des équipes de France. J’espère qu’elle ne pense pas comme elle parle. »

« C’est clairement une façade, rassure Loïs Habert. Elle préfère prendre cette posture devant les médias pour ne pas passer pour la fille qui a déçu des gens. Ce qu’il faut regarder, c’est ce qu’elle fait quand elle a le dossard. Car quand elle l’a, elle n’est pas spectatrice. »

« Progressivement, je suis devenue plus maman qu’athlète »

Marie Dorin a partagé sa médaille d’or du relais mixte avec Anaïs Bescond, dont elle est le plus proche dans le groupe de l’équipe de France. / MURAD SEZER / REUTERS

S’il y a quelque chose à comprendre à la carrière de Marie Dorin, jusqu’à ce dénouement heureux du mardi 20 février 2018, il faut peut-être le chercher dans son foyer de Villard-de-Lans. Elle explique les hauts et bas de son olympiade par sa nouvelle vie de mère, depuis ses JO de Sotchi ratés, ses deux Mondiaux en lévitation ensuite (Kontiolahti 2015, Holmenkollen 2016) jusqu’à sa saison olympique en montagnes russes.

En septembre, elle s’était longuement confiée au Monde sur les implications sportives de la naissance inattendue de sa fille Adèle, il y a trois ans et demi, et les nœuds au cerveau qu’elle s’en faisait :

« A Sotchi (elle était enceinte de moins de trois mois, ndlr) , je dormais 14 heures par jour. Puis j’ai eu une grossesse super, j’ai pu m’entraîner tout du long. C’est après sa naissance que j’ai fait mes deux meilleures saisons, sans aucune pression.

« La suite lui plaît, elle a envie d’y aller »

La première année, j’etais plus athlète que maman. Progressivement, je suis devenue plus maman qu’athlète, et ça marche moins bien. Avant, ça m’aidait quand elle était là (sur des manches de Coupe du monde et les championnats du monde, jusqu’en 2017, ndlr). Maintenant, elle me demande trop d’attention. Je pense à 10.000 choses en même temps. Même quand je tire, je pense à des choses qui n’ont rien à voir.

Les absences sont de plus en plus dures, elle me réclame beaucoup. Depuis trois ans et demi, j’ai de la culpabilité au quotidien, car je ne suis pas là comme le ferait une “bonne mère”. Des gens, sans aucune méchanceté, me demandent : “Pas trop dur d’abandonner votre enfant ?” Dans notre imaginaire, c’est ça. »

Il y a un an, après des championnats du monde ratés, Stéphane Bouthiaux lui a reprochée d’avoir vécu à Hochfilzen (Autriche) à l’écart de l’équipe, avec son mari et sa fille. « Clairement, elle s’est un peu exclue du groupe. On pense sérieusement que c’est une des raisons de ses résultats, même si elle dit que non », disait à l’automne Stéphane Bouthiaux.

« La petite ne pleure pas, ça a beaucoup aidé »

A Pyeongchang, la question ne se posait pas, les familles n’étant pas accréditées. Loïs et Adèle Habert sont restés à Villard-de-Lans, et les conversations sur Skype sont moins douloureuses qu’avant. « La petite le prend super bien, elle ne pleure pas derrière l’écran et ça a beaucoup aidé pour que Marie se sente bien, estime son mari. Il y a aussi le fait qu’elle assimile que ce sont ses derniers Jeux, elle a posé sa date d’arrivée et la suite se construit. La suite lui plaît, elle a envie d’y aller. »

Elle se construira avec son mari et le fondeur Robin Duvillard, à Corrençon, au-dessus de Villard-de-Lans : les trois montent une structure d’hébergement dédiée aux sportifs. L’ouverture est prévue en septembre. Marie Dorin sera chargée de la partie éco-tourisme, elle qui se douche à l’eau de pluie, se déplace en vélo électrique et avale les livres de permaculture même si « Villard-de-Lans, pour faire pousser des trucs, c’est pas l’idéal ». Bientôt, elle arrêtera de « marcher sur (ses) principes » en se déplaçant en avion à l’autre bout du monde pour faire du ski et participer à des Jeux olympiques pour lesquelles on rase des forêts. En mars, Marie Dorin rentre à la maison.