JO d’hiver : le curling féminin coréen affole la Toile
Durée : 01:26

Au reporter égaré dans les tréfonds du Centre de curling de Gangneung peut parfois se présenter des scènes inattendues. Telle cette séance de motivation de l’équipe coréenne dames, autour d’une version locale du « Atchik atchik atchik, aïe aïe aïe » menée par sa capitaine à quelques minutes de leur entrée sur le rink (la « piste »). Qualifiées le matin pour les demi-finales des Jeux olympiques de Pyeongchang après leur victoire sans appel sur les athlètes olympiques de Russie (11-2), les joueuses sud-coréennes s’apprêtaient à affronter le Danemark, mercredi 21 février. Devant une salle comble.

Evacuons la question de suite. Oui, dans l’équipe de Corée du Sud féminine de curling, toutes les joueuses s’appellent Kim. Et seules deux d’entre elles sont de la même famille (elles sont sœurs). C’est également le nom de leur entraîneuse. D’ailleurs, « Team Kim » est de loin le surnom qu’elles préfèrent. Mais de toutes les choses à dire sur les aventures de cette équipe aux Jeux olympiques de Pyeongchang, c’est certainement la plus anecdotique.

La « skip » (capitaine) de l’équipe de Corée du Sud, Kim Eun-jung, est devenue l’une des figures de ces Jeux olympiques. / PHIL NOBLE / REUTERS

Comment la Corée du Sud, culturellement à des milliers de kilomètres du cœur de ce sport, a-t-elle montée une équipe capable de se qualifier brillamment en demi-finales, en l’ayant notamment emporté sur le Canada et la Suisse, deux des trois meilleures nations du curling ? Et contribué à la popularité d’un sport souvent comparé à « de la pétanque sur glace » à l’exotisme certain ?

Dans cette histoire qui ressemble à un conte, aucune « naturalisation expresse », comme on a pu le voir avec d’autres pays souhaitant à tout prix devenir compétitifs. De fait, les autorités sportives coréennes – fédération nationale de curling incluse – n’ont que peu à voir avec le succès des coéquipières de Kim Eun-jung, la skip (« capitaine ») du navire coréen.

Annie, Sunny, Pankake et les autres

Il était une fois quatre filles d’une petite ville de province, Uiseong. Toutes liées d’une manière où d’une autre entre elles (sœur, cousine, amie de la sœur, amie), elles décident de former une équipe de curling. Car leur ville est le siège du premier club établi dans le pays, en 1994. Elle est également connue en Corée pour sa culture de l’ail, ce qui leur vaut le surnom – qu’elles détestent – de « Garlic girls ». Après avoir grandi ensemble, les jeunes femmes prennent d’assaut les Jeux olympiques d’hiver 2018. Et s’en sortent avec les honneurs et une popularité grandissante.

Entre-temps, à la manière des gangsters de Reservoir Dogs, de Quentin Tarantino, elles se sont affublées de surnoms anglophones : « Annie », « Sunny », « Pankake » et « Steak ». Rapport à ce qu’elles savourent au petit déjeuner. « Plutôt que d’utiliser nos noms coréens, j’en voulais des anglais pour qu’on améliore nos capacités dans cette langue », expliquait Kim Eun-jung (Annie, pour « Annie’s yogurt », une marque de yaourt canadienne) en début de tournoi. La skip coréenne révèle qu’elle et ses coéquipières ont « appris à curler ensemble, et continuent comme une équipe d’amies. Ce ne serait pas pareil si on n’était pas ensemble. »

Désormais cinq, Kim Eun-jung, Kim Yeong-mi, Kim Kyeong-ae, Kim Seon-yeong et Kim Cho-hi sont rapidement devenues les meilleures curleurses d’Asie. Et sont devenues les véritables stars de ces Jeux, dans la foulée de leur capitaine, dont les expressions font fondre les internautes. Son cri « Yeong-mi ! », du prénom de l’une de ses partenaires quand elle lui enjoint de balayer, est devenu un mème sur Internet. Au même titre que son regard impassible derrière ses lunettes rondes quand elle tire. Et que dire de la télévision de son pays. Sur le site de KBS, le diffuseur coréen officiel des JO 2018 (qui en a fait la figure de ses publicités), la jeune femme est assimilée à une héroïne de manhwa (l’équivalent du manga nippon), dont les yeux lancent des éclairs et le cri fait fondre les pierres adverses.

Une médaille dans le viseur

Kim Min-jung, l’entraîneuse sud-coréenne, se réjouit de la popularité grandissante de ses filles, qui se sont mises dans une bulle à l’orée des JO, n’étant « pas accoutumées à jouer devant d’aussi grosses foules ». « On contribue à populariser le curling en Corée », explique la volubile entraîneuse. Et de préciser que « les joueuses sont heureuses de constater que les terminologies du curling et ses règles commencent à être connues ».

Remplissant le Curling Center de Gangneung à chaque rencontre, le public ne maîtrise peut-être pas les arcanes de ce sport séculaire, déjà représenté sur des tableaux de Pieter Brueghel l’Ancien (son Chasseurs dans la neige montre notamment en arrière-plan des paysans pratiquant ce sport), mais il ne s’y trompe pas. Quand une de ses favorites tire et parvient d’un carreau à écarter la pierre adverse, la foule s’enthousiasme. Et lorsque la « Kim Team » inscrit son premier point sur un dernier tir magistral, les « Let’s go Korea ! » accompagnés de drapeaux brandis fleurissent.

Avec quatre de ses amis, Yongwon Lee, 27 ans, a fait les trois heures de trajets qui séparent Séoul de Gangneung mercredi. Cet étudiant en anglais confie ne pas vraiment s’être intéressé au curling avant les résultats de la Corée. Et a apprécié le spectacle. « On voit que c’est une équipe d’amies, il y a un vrai esprit combatif chez elles. » Comme ses camarades, le jeune homme s’est levé lorsque sur la dernière pierre du match contre le Danemark, Kim Eun-jung a réalisé un carreau, permettant à son équipe de l’emporter (9-3). Et s’il espère une médaille, il doute que la popularité du curling survivra à sa « trêve olympique enchantée »

En attendant, tout en tentant d’éviter les sollicitations grandissantes, l’équipe féminine de Corée du Sud s’apprête à affronter le Japon (vendredi à 12 h 5, heure de Paris), la seule équipe qui les a battues lors de ce tournoi olympique. Avec une médaille dans le viseur. Et à n’en pas douter, le public reprendra les « Yeong-mi ! » lancés par leur capitaine.