Carte de situation d'Afrin, en Syrie.

L’opération « Rameau d’olivier » lancée dans l’enclave d’Afrin par la Turquie et ses supplétifs issus de la rébellion est entrée dans son deuxième mois, mardi 20 février, jour où les milices loyales à Damas ont annoncé leur déploiement dans l’enclave en soutien aux combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG).

  • Qui défend Afrin ?

Afrin est un territoire majoritairement kurde situé dans le nord-ouest de la Syrie, à la frontière avec la Turquie. Depuis 2012, Afrin est sous le contrôle des Unités de protection du peuple (YPG). Cette force kurde est le noyau des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliées à la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI) emmenée par les Etats-Unis.

La coopération de la coalition avec le FDS leur a permis de s’emparer de vastes territoires riches en ressources naturelles et agricoles dans l’est de la Syrie, bien au-delà des zones de peuplement kurde comme Afrin, dont leur encadrement militaire et politique est issu. En octobre, elles ont définitivement chassé les djihadistes de Rakka et poursuivent leurs offensives contre les dernières poches de l’Etat islamique, près de la frontière irakienne.

Dans les territoires contrôlés par les FDS, un système politique original a vu le jour. Inspiré par des idées autogestionnaires et féministes, le « modèle » porté par leurs responsables n’a pas vocation à représenter les intérêts des seuls Kurdes mais à prendre racine dans toutes les communautés syriennes. Dans les faits, les institutions restent dominées par l’encadrement civil kurde des FDS.

Dans cet ensemble territorial, politique et militaire connu sous le nom de Rojava-Nord Syrie, Afrin présente un cas particulier. Il s’agit, en effet, d’une enclave détachée des régions tenues par les FDS dans l’est du pays. Malgré leur expansion territoriale, réalisée grâce au soutien militaire de leurs alliés occidentaux, les FDS ne sont jamais parvenues à remplir leur objectif historique : rallier leurs territoires de l’est à Afrin.

Loin des lignes de front contre l’Etat islamique, l’enclave est prise en étau entre la Turquie au nord et à l’ouest, des régions sous le contrôle de groupes djihadistes et rebelles à l’est et au sud, et les zones repassées sous l’autorité de Damas au sud-est.

  • Pourquoi la Turquie a-t-elle attaqué Afrin ?

Ankara perçoit l’influence des forces kurdes dans le nord de la Syrie comme une menace existentielle. De fait, la matrice des FDS se trouve être le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Cette organisation politique et militaire a été créée initialement par des Kurdes de Turquie. Elle est en guerre contre l’Etat turc depuis 1984. Ayant essaimé à partir des années 1990 dans toutes les régions kurdes du Moyen-Orient, le PKK a investi les régions majoritairement kurdes de Syrie à la faveur de la révolution.

D’abord limités à trois enclaves isolées (Afrin, Kobané et la Djezireh, dans le Nord-Est), ses alliés syriens ont conquis de nouveaux territoires dans leur lutte contre l’Etat islamique. Quand, en 2014, l’EI attaque la localité de Kobané, la résistance des combattants kurdes leur vaut les faveurs de la coalition. S’ensuit une coopération poussée qui permet aux forces kurdes de relier la Djezireh et Kobané puis de repousser l’EI jusqu’à la prise de Rakka, sa capitale, à l’automne 2017. Les FDS contrôlent aujourd’hui l’essentiel de la rive gauche de l’Euphrate.

Du point de vue turc, cette montée en puissance, pourtant alimentée par l’aide de ses alliés de l’OTAN, reste celle d’un ennemi intime qui s’installe dans son environnement immédiat. Quand à l’été 2016, les FDS chassent les djihadistes de leur bastion de Manbij, destiné à servir de tête de pont à la jonction avec les Kurdes d’Afrin, Ankara prend donc les devants.

L’opération « Bouclier de l’Euphrate » lancée par Ankara dans les semaines qui suivent contre les positions de l’Etat islamique au nord-est d’Alep coupe la route des FDS vers Afrin et empêche définitivement les forces kurdes de former un territoire contigu le long de la frontière turque.

La position dominante des forces kurdes dans le Nord syrien n’est pas compromise pour autant. Le temps de la bataille de Rakka commence peu après, plus au sud, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan ronge son frein. Maintes fois annoncée depuis l’été 2016, l’opération prend finalement corps en janvier 2018. Afrin, isolé et échappant à la protection de la coalition, contrairement aux territoires de l’Est, est le maillon faible du dispositif FDS en Syrie.

  • Quels sont les enjeux de la bataille ?

La crise d’Afrin concentre sur un territoire réduit l’ensemble des acteurs du conflit syrien ou leurs alliés. Enjeux locaux, régionaux et internationaux s’y télescopent. Pour les forces kurdes, la défense d’Afrin est une question vitale. Si elles cèdent et font aveu de faiblesse, c’est tout leur édifice dans l’Est syrien qui se trouve menacé. Il faut donc tenir et, à défaut d’autre soutien extérieur, tenter d’arracher au régime de Damas un accord qui permettrait de ralentir les avancées turques.

L’envoi de détachements miliciens vers Afrin, mardi 20 février, est un signal allant en ce sens. Le régime syrien voit, en effet, d’un mauvais œil l’émergence d’une présence forte et durable de la Turquie à Afrin. Damas et Ankara partagent un passé lourd de disputes territoriales qui influence la position du régime.

L’Iran est réputé avoir en la matière une position proche de celle de ses protégés syriens. La position de la Russie, autre alliée du régime, diverge cependant. Sans le feu vert tacite de Moscou, qui contrôle l’espace aérien syrien dans cette partie du pays, l’opération turque sur Afrin n’aurait pas pu voir le jour. En accédant aux velléités anciennes d’Ankara sur Afrin, Vladimir Poutine ménage sa relation avec le président Erdogan et fait d’une pierre deux coups, en prouvant aux Kurdes l’inefficacité de leur alliance avec Washington, tout en semant un peu plus la discorde entre les Etats-Unis et la Turquie, alliés au sein de l’OTAN.