Fabio Delvò

Au pays où la voie royale de la formation passe encore par les classes prépara­toires, les grandes écoles françaises ont tardé à ouvrir des bachelors. Et quand elles s’y sont mises, les business schools en tête de classement, telles que l’Essec, l’Edhec ou l’EM Lyon, ont commencé par des bachelors en quatre ans, ces BBA (bachelor of business administration) conçus sur le modèle anglo-saxon. L’objectif étant d’offrir une formation courte non spécialisée reconnue dans toute l’Europe.

Succès du bachelor auprès des bacheliers

Cette nouvelle offre pédagogique a clairement répondu aux aspirations des ­bacheliers : les programmes coordonnés de gestion(comptabilité, marketing, ­finance, ressources humaines) proposent à ces étudiants craignant d’avoir à se spécialiser trop tôt un cursus postbac, qui reste une formation transverse leur donnant un certain niveau en tant que généraliste de l’entreprise.

Un cursus qui, de surcroît, intègre des expériences professionnelles, des stages en entreprise ou en mission humanitaire, des projets personnels ou en atelier, et donne la possibilité de faire une partie de son parcours académique ou professionnalisant à l’étranger. Une formation, enfin, qui, à la différence de l’université où les étudiants encore peu mûrs se retrouvent livrés à eux-mêmes, prévoit un accompagnement des étudiants. Autant de raisons qui expliquent le succès croissant de ces formations, même auprès des meilleurs élèves.

Reste une certaine confusion dans les esprits : en trois ans ou en quatre ans, quelle version choisir ? Y a-t-il une différence de degré, à savoir une simple année de plus dans un cursus qui en compte déjà trois ? Ou de nature, avec un diplôme qui, en quatre ans, offriraitin fineune bien meilleure employabilité ? Au prix de l’année dans ces écoles – qui dépasse les 10 000 euros, voire atteint les 12 500 euros dans les plus grandes –, la question du rendement de cette année supplémentaire est devenue incontournable.

A première vue, c’est loin d’être évident. Même si, en première approximation, on peut affirmer avec Delphine Manceau, ­directrice de Neoma Business School, que « les programmes en trois ans destinés à ceux qui veulent faire des études courtes sont très orientés vers l’insertion professionnelle juste après. Tandis que les bachelors en quatre ans sont choisis par ceux qui pensent poursuivent leurs études par un master ou un mastère spécialisé ».

Une formation professionnalisante dès la troisième année

Pourtant, les enseignements fondamentaux délivrés en première et deuxième année sont les mêmes, ainsi que les opportunités de stages durant l’été, y compris à l’étranger si l’étudiant du bachelor en trois ans le souhaite. La troisième année lui permet d’amorcer une spécialisation et de commencer à personnaliser son parcours. Bref, pour les élèves déjà mûrs et autonomes, le bachelor en trois ans permet déjà d’acquérir une ­formation professionnalisante. En particulier dans les bachelors spécialisés tels que le « bachelor in retail management » (ECAL) à Neoma, sur les métiers de la distribution. Ou en suivant la troisième ­année en apprentissage. Et d’avoir une première expérience à l’étranger, dans des universités ou écoles partenaires.

Il n’est pas certain que l’employabilité soit si différente après une quatrième année.

Il permet également de bénéficier des ateliers, incubateurs et autres jeux de ­rôles portés sur le développement personnel. Quant à l’employabilité, il n’est pas sûr qu’elle soit si différente : dans les deux cas, les étudiants peuvent faire le choix de démarrer dans la vie active (près de la moitié le font), sachant que la quatrième année ne sera pas nécessairement valorisée par un meilleur salaire. Enfin, pour ceux qui souhaitent aller jusqu’au bac + 5, l’entrée directe en master 2 (M2) n’est pas si facile en France.

Alors la question demeure entière : quel est l’apport de la quatrième année ? A y regarder de près, elle offre peu d’heures de cours (200 à 250 heures en général, contre 500 à 600 en première et deuxième année), elle est davantage axée sur les « électifs », à savoir des cours au choix, dont les plus réputés sont souvent pris d’assaut en quelques minutes. Car cette quatrième année privilégie projets, engagements et travail personnel de l’étudiant.

Le projet de mémoire prépare l’avenir

C’est surtout le projet de mémoire qui permet un travail en profondeur sur un sujet de son choix, « un travail qui prépare véritablement l’avenir et sera déterminant pour trouver un premier poste », explique Hugues Levecq, directeur du « global BBA » de l’Essec. En clair, résume Delphine Manceau, « le bachelor en quatre ans permet d’acquérir une expérience plus longue en entreprise et à l’international, deux ­découvertes pour des étudiants postbac ». Mais le « plus long » est-il suffisamment différenciant pour justifier cet investissement ? « Ce n’est pas la durée du bachelor qui m’a fait choisir l’Essec, c’est l’école elle-même », dit Tara Aït Ouakli, en quatrième année du « global BBA ».

Il est en effet nécessaire d’entrer dans la cuisine de chaque école, sa spécialité, son ou ses programmes, sa pédagogie, et vérifier avant tout si le bachelor proposé ­débouche ou non sur un diplôme visé par l’Etat. Si de nombreux bachelors en quatre ans sont diplômants, c’est moins vrai pour ceux en trois ans, qui ont proliféré ces dernières années. Or pour l’étudiant qui décide finalement, à la fin des trois ans, de poursuivre ses études, il sera difficile d’intégrer un master 1 si le bachelor ne fournit pas un diplôme reconnu par l’Etat – équivalent à une licence.

Il est ainsi indispensable de vérifier cette information sur le site de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (Cefdg.fr), à consulter par académie et par diplôme. Ensuite, certains programmes ne pourraient pas se faire en trois ans. Comme le Cesem de Neoma (« international business management ») ou le BBA de l’EM Lyon, qui tous deux débouchent sur un double diplôme avec deux ans en France et deux ans à l’étranger dans la langue locale.

La maturité de l’étudiant compte

Il faut aussi tenir compte de la maturité du bachelier. Car il y a un truisme qui mérite d’être revisité de temps à autre : « La différence entre trois et quatre ans, c’est un an. C’est, au fond, la principale différence, reconnaît Hugues Levecq, à l’Essec. Mais ça change tout ! » En trois ans, la formation reste plus académique, quand l’année supplémentaire permet d’intégrer une expérience à l’international plus longue – au moins douze mois, parfois vingt-quatre répartis entre-temps dans les écoles partenaires et stages à l’étranger – et davantage d’expériences professionnelles.

Cela peut être l’année décisive, celle qui permet de tester ses motivations et de ne pas se tromper dans ses choix.

« C’est ce temps additionnel qui permet de mieux organiser les séquences entre formation académique et expérience professionnelle, pour mieux appliquer ce [qui a été] appris sur les bancs de l’école et construire une alternance adaptée à l’étudiant, qui contribuera à mieux le préparer », ­détaille Hugues Levecq. Pour les « adulescents » du XXIe siècle qui ont le « doute narcissique hyperbolique » dont parlait Descartes, un an de maturité en plus, cela peut être l’année décisive, celle qui permet de tester ses motivations et de ne pas se tromper dans ses choix. Même si au bout du compte ils intègrent un master 1, ils seront mieux préparés. « On est là pour les faire grandir et les préparer à ce qui se passe après », explique Jacques Chaniol, directeur du « global BBA » de l’EM Lyon.

Un passeport pour une université étrangère

Si entrer en M2 en France n’est pas ­facile, le bachelor en quatre ans d’une école bien classée permet d’intégrer un master à l’étranger, qui, lui, se fait en un an. « Il donne un passeport pour aller dans une université étrangère, qui permettra de trouver son premier poste à l’international, avec un salaire qui sera celui du master de l’université en question », continue Jacques Chaniol. S’il y a une différence de nature, elle est là : en quatre ans, le bachelor pousse ses étudiants hors des frontières, car c’est là qu’ils valoriseront au mieux non pas une, mais deux années supplémentaires.

Découvrez notre dossier spécial sur le bachelor

Le Monde publie, dans son édition datée du jeudi 15 février, un supplément dédié au bachelor, ce cursus de trois années qui séduit les bacheliers pour son enseignement concret, sa proximité avec les entreprises et son incroyable ouverture à l’international. Plus accessible qu’une classe prépa, le bachelor ouvre des perspectives en termes d’insertion professionnelle comme de poursuites d’études. Est-il la prochaine révolution du supérieur ou un miroir aux alouettes ?

Les différents articles du supplément seront progressivement mis en ligne sur Le Monde.fr Campus, dans la rubrique bachelor