Dans la Ghouta orientale, jeudi 22 février. / Uncredited / AP

Assiégés, bombardés par l’artillerie et par l’aviation du régime syrien, soumis à la pénurie et à la maladie, des habitants de la Ghouta orientale se tournent vers les réseaux sociaux pour rendre compte de leur calvaire. Pas plus que les convois d’aide humanitaire bloqués par le régime de Damas, les journalistes n’ont accès à l’enclave rebelle, pilonnée avec une intensité renouvelée depuis dimanche 18 février et suspendue dans l’attente d’une offensive terrestre annoncée.

En cinq jours, d’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme, plus de quatre cents civils, dont une centaine d’enfants, ont péri dans les destructions. Comme lors du siège d’Alep par le régime, à la fin de 2016, sur Twitter, Facebook ou Youtube, des comptes relaient les témoignages, souvent filmés, de ceux et celles qui tentent de survivre dans cette poche où sont piégées près de quatre cent mille personnes, et que le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, a qualifiée « d’enfer sur terre ».

Figure emblématique du martyre

Parmi ceux qui documentent l’horreur de la Ghouta orientale, un adolescent de 15 ans, Mohammed Najem, poste régulièrement sur son compte Twitter des vidéos prises avec un téléphone dans les ruines de son quartier.

Le compte du jeune Mohammed est publié en anglais, une langue qu’il ne maîtrise pas. Ses messages, rédigés avec l’aide d’un anglophone, lui ont permis d’acquérir une visibilité plus grande et de devenir une figure emblématique du martyre de la Ghouta quand ses séquences ont été reprises par de grands médias internationaux, tels que CNN ou la BBC.

Dans une de ses dernières vidéos, Mohammed Najem s’applique à lire phonétiquement un texte en anglais, appelant une nouvelle fois la communauté internationale à réagir et à imposer la levée du siège de la Ghouta orientale. « Pourquoi notre sang est-il devenu insignifiant ? », demande l’adolescent devant un tas de gravats arrachés à un immeuble détruit par une frappe.

« C’est bien de mourir dans de beaux habits »

A Douma, la localité principale de l’enclave, le photographe et activiste Firas Abdullah rend compte sur sa page Facebook par des vidéos régulières, commentées en anglais, du cataclysme qui s’abat sur la ville.

D’heure en heure, ses publications retracent les frappes aériennes, les lâchers de bombes barils par des hélicoptères du régime. Une manière de faire prendre au monde extérieur la mesure de la destruction systématique de l’enclave. Mais aussi d’informer ceux qui sont abonnés à sa page qu’il est toujours en vie.

Nivin Hotary, une habitante de la Ghouta orientale, publie elle aussi régulièrement sur sa page Facebook des textes plus longs où, au-delà du décompte des morts et du signalement des frappes, elle raconte le quotidien dans l’enclave assiégée. Jeudi, elle évoquait l’existence de nombreux habitants de la Ghouta orientale reclus dans des caves d’immeuble pour échapper aux bombardements :

« Prisonniers dans les caves […], nous ne pouvons pas dormir. Toutes les dix minutes, un missile d’artillerie explose pour assurer à ceux qui bombardent que personne ne dormira. Cela, bien sûr, c’est seulement quand les pilotes prennent leur pause […].  Prisonniers, nous passons nos jours et nos nuits dans les mêmes vêtements, ceux que nous portons pour sortir […]. C’est bien de mourir dans de beaux habits. »

Clichés insoutenables

Les soignants sont en première ligne, face à la douleur et à la mort dans la Ghouta orientale, pour tenter de sauver ceux qui peuvent l’être, tout en faisant face à de graves pénuries de fournitures, d’équipements, de médicaments. Les hôpitaux sont pris pour cible par les frappes du régime, et c’est dans des conditions de plus en plus dégradées qu’ils continuent d’exercer.

Sur sa page Facebook, le médecin Housam Adnan, qui se trouve à Douma, publie des photographies de ceux qu’il s’évertue à soigner. Corps aux membres arrachés, patients gravement blessés, et aussi le regard épouvanté d’une petite fille, yeux trop grands pour un corps trop maigre, ravagé par la faim.

Le 21 février, il a publié, avec deux clichés insoutenables, un long poème dont les vers racontent l’horreur de la Ghouta :

« Des enfants sans membres, sans yeux, sans visage. […] L’odeur de la poudre à canon et sa couleur noire dégoûtante plane sur ces visages affamés et flétris. Les cris des enfants, les lamentations des femmes, l’oppression des hommes, l’impuissance des médecins atteignaient mon scalpel […].
Aujourd’hui, tous ceux qui nous viennent sont ces corps maigres qui ont manqué de nourriture pendant des jours, enterrés avec leurs enfants sous les décombres de ces barils qui ne distinguent pas la pierre de l’homme. »

La Ghouta orientale, au cœur du conflit syrien

Ancien « poumon vert » de Damas, situé à l’est de la capitale de la Syrie, la Ghouta orientale est un fief rebelle qui fait, depuis 2013, l’objet de bombardements quasi quotidiens.

Cette année-là, le conflit prend un nouveau tournant dans la zone avec des attaques chimiques dans les alentours de Damas ; en mai, les journalistes du Monde sur place sont les premiers à être témoins d’attaques chimiques lancées à l’entrée de la capitale durant plusieurs jours. Mais c’est surtout lors d’un massacre durant la nuit du 21 août de la même année que ces armes sont utilisées massivement.

A partir de 2015, des dizaines de civils sont affectées par les pénuries de nourriture et de médicaments.

Depuis l’été 2017, la région est censée être une des « zones de désescalade » créées en vertu d’un accord entre la Russie, l’Iran — principaux soutiens du régime — et la Turquie, qui appuie l’opposition. Mais les bombardements n’ont jamais cessé. Le 5 février, le régime lance une offensive aérienne d’une intensité inédite.