YUHKI KAMATANI

Dans un paysage où le manga évoquant l’homosexualité se résume le plus souvent aux styles Boys Love et Girls Love, des romances gays aussi appelées Yaoi et Yuri, la sortie de Le Mari de mon frère en 2016 en France avait agréablement surpris. Saluée au Festival international de BD d’Angoulême l’année suivante, cette courte série grand public en quatre tomes s’attachait à démonter des préjugés homophobes en relatant la rencontre entre un Japonais et sa fillette avec l’époux canadien de son défunt frère.

L’éditeur Akata poursuit son exploration dans le manga LGBT+ avec une pépite, Eclat(s) d’âme, sorti jeudi 22 février en France. Dans ce récit mais aussi avec son dessin, Yukhi Kamatani sonde la psyché de Tasuku, un adolescent provincial victime d’homophobie depuis que ses camarades ont surpris des vidéos de porno gay sur son smartphone.

« Eclat(s) d’âme ». / YUHKI KAMATANI

Il suffit des premières pages pour se convaincre du fait que Yuhki Kamatani connaît et aborde avec délicatesse la question du coming out. Ce(tte) mangaka trentenaire qui se revendique du genre neutre (ni féminin ni masculin) s’est pourtant fait connaître en France dans un tout autre registre avec Nabari, un manga shonen d’action et de surnaturel.

Avant de questionner sa place dans la société, Yuhki Kamatani met son héros face à lui-même. Tasuku, solitaire et rejeté, monologue. Une introspection retranscrite par des dessins de songes et malaises de l’adolescent. Des planches fragmentées, des éclats d’âme en somme.

« Eclat(s) d’âme ». / YUHKI KAMATANI

Mais c’est aussi le sentiment de submersion que Yuhki Kamatani met merveilleusement en scène : il revêt dans ce premier tome toutes ses formes, des quolibets incessants à l’envie de se jeter dans le vide. Loin d’acculer le personnage, il s’agit de le placer sur le chemin de l’acceptation au travers de rencontres bienveillantes ou mystérieuses. C’est notamment « l’hôte », jeune femme lunaire et grave, sorte de mentor chimérique qui, en ouvrant sa maison à des personnes en marge, va offrir des perspectives inattendues à Tasuku.

Ce manga tout en nuances tant dans son propos que dans ses dessins, avec des paysages lumineux qui contrastent avec le malaise du héros, exploite également avec finesse la frontière entre réalité et imaginaire. Tasuku a-t-il rêvé « l’hôte » ? Avance-t-il dans un état second ? S’est-il réfugié dans un recoin, un éclat de son âme pour se protéger ?

« Eclat(s) d’âme ». / YUHKI KAMATANI

Eclat(s) d’âme, de Yuhki Kamatani, traduction de Aurélien Estager, tome 1 le 22 février, éditions Akata, 176 pages, 7,95 euros.