PASCAL GROS

C’est une autre envergure que le gouvernement souhaite donner à la politique de prévention de la radicalisation. Le plan national promis en septembre 2017 par le président de la République arrive avec plusieurs mois de retard, mais est plus vaste qu’imaginé au départ. Alors que la menace terroriste est toujours présente sur le territoire national, il ne s’agit pas ici de rechercher une énième recette miracle pour « déradicaliser » des personnes qui auraient basculé dans le terrorisme islamiste, mais plutôt de déployer tous azimuts une stratégie de prévention de ce phénomène.

Le premier ministre, Edouard Philippe, a réuni, vendredi 23 février, à la préfecture de Lille, un Comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) avec une dizaine de ministres dont Gérard Collomb (intérieur), Nicole Belloubet (justice), Jean-Michel Blanquer (éducation nationale) et annoncé à la mi-journée soixante mesures qui constituent ce plan national de prévention de la radicalisation baptisé « Prévenir pour protéger ».

Alors que près de 11 000 personnes sont actuellement « prises en compte » par les services sur les 19 745 inscrites au 20 février dans le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le gouvernement souhaite identifier le plus tôt possible les signes de dérives personnelles. Pour définir une grille d’analyse qui ne vire pas à la suspicion généralisée, les services de Matignon se réfèrent à la décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2010 qui avait validé la loi sur le voile intégral en introduisant la notion d’« exigences minimales de la vie en société ».

On est très loin de velléités terroristes. Plutôt dans des comportements qui mettent au défi la société, par exemple dans la place dévolue aux femmes, qui mettent en balance les principes de la République avec des préceptes religieux ou qui mettent en cause des enseignements de l’histoire ou des sciences au nom de croyances.

Offrir davantage de latitude

L’école, le collège et le lycée figurent ainsi au premier rang de ce plan gouvernemental. D’abord avec un renforcement des contrôles des écoles hors contrat. Certaines mesures se retrouvent d’ailleurs dans une proposition de loi qui a été examinée mercredi au Sénat et à laquelle le ministre de l’éducation a apporté son soutien.

Il ne s’agit pas de reprendre l’idée d’une autorisation préalable d’ouverture que le Conseil constitutionnel avait retoquée dans la loi de Najat Vallaud-Belkacem, mais de clarifier la procédure de déclaration et de porter d’un à quatre mois le délai d’opposition pour l’administration, lui offrant davantage de latitude. Surtout, le gouvernement prévoit des équipes d’inspecteurs spécialisées sur les établissements hors contrat et sur l’enseignement dans les familles.

Pour les établissements publics, il s’agit d’améliorer les processus de détection en renforçant la formation des personnels et en diffusant les bonnes pratiques.

Nouveau modèle de prise en charge

Une autre mesure-phare de ce projet a été inspirée par celle que le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, avait introduite dans la loi sur la sécurité intérieure du 30 octobre 2017 qui faisait suite à l’état d’urgence. Il s’agissait de pouvoir muter ou radier un fonctionnaire radicalisé lorsqu’il exerce une mission dans un domaine de souveraineté ou de sécurité. Le gouvernement va examiner la possibilité d’étendre le dispositif aux agents publics, en particulier ceux qui sont en contact avec les mineurs.

Quant au volet « prise en charge » des personnes à risque, le gouvernement devait inventer un nouveau modèle après le fiasco du centre de Pontourny, ce projet lancé par Manuel Valls. Le centre de « déradicalisation » ouvert dans l’Indre-et-Loire en septembre 2016 par le ministère de l’intérieur pour accueillir vingt-cinq « volontaires » n’a finalement accueilli que neuf personnes, toutes parties avant la fin du programme. Un centre de ce type devait ouvrir dans chaque région. L’idée a été abandonnée, alors que Pontourny n’accueillait déjà plus personne cinq mois après son ouverture.

Le ministère de la justice va se voir confier la création de trois centres de prise en charge des personnes en voie de radicalisation sous main de justice à Marseille, Lyon et Lille. Sur la base de l’expérimentation menée à Paris depuis quatorze mois par l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale, et baptisée RIVE, des équipes pluridisciplinaires (éducateur, psychologue, psychiatre, référent religieux) feront un suivi personnalisé. Un dispositif onéreux dont les premiers résultats semblent encourageants. Les publics concernés seront des personnes sous contrôle judiciaire avant un jugement, ou après condamnation dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve ou comme aménagement de fin de peine.

Orchestré par Muriel Domenach, secrétaire général du CIPDR depuis septembre 2016, ce plan tire les leçons des échecs passés mais reconnaît que le phénomène de la radicalisation, complexe et évolutif, reste mal maîtrisé. Ainsi, le plan gouvernemental met l’accent sur la recherche scientifique appliquée et le partage des connaissances avec les pays confrontés au même sujet. L’accès aux données du fichier des personnes radicalisées pourrait ainsi être ouvert sous certaines conditions, à certains chercheurs.

Ce plan de prévention ne comporte en revanche pas de volet social ou économique en faveur des cités défavorisées identifiées comme des terrains fertiles à la radicalisation.