Tous les prétendants sérieux ayant été arrêtés ou poussés à s’en retirer, la présidentielle égyptienne du 26 mars s’annonce comme une formalité pour Abdel-Fattah Al-Sissi, qui dirige le pays d’une main de fer, sept ans après la révolution qui a renversé Hosni Moubarak. Candidat à sa réélection, quatre ans après une première victoire électorale acquise avec 96,9 % des voix, l’ex-maréchal fera face dans les urnes à un candidat de dernière minute, Moussa Mustafa Moussa, le dirigeant du petit parti libéral Ghad, qui soutenait jusqu’alors la candidature… d’Abdel-Fattah Al-Sissi.

Si la commission électorale égyptienne a assuré que le scrutin serait honnête et transparent, quatorze organisations de défense des droits humains ont déjà qualifié l’élection présidentielle de « ni libre ni équitable ». « Le gouvernement égyptien a piétiné les conditions minimales pour que des élections libres et équitables aient lieu les 26-28 mars 2018 », estiment ces organisations, parmi lesquelles Human Rights Watch, le Cairo Institute for Human Rights Studies ou Reporters sans frontières. Elles ont déclaré que « les alliés de l’Egypte devraient aujourd’hui dénoncer publiquement la mascarade que sont ces élections ».

Peu de débats et de passes d’armes sont attendus lors de la campagne électorale qui s’ouvre, samedi 24 février. Ce qui est, aux yeux des experts, ce que voulait Abdel-Fattah Al-Sissi, vu comme un militaire pur jus, peu enclin à se prêter au jeu politique.

L’élimination de tous les candidats sérieux traduit toutefois une peur et un manque de confiance du président, qui connaît une chute de sa popularité du fait des mesures d’austérité qu’il a prises pour sortir le pays de la crise. Son seul véritable rival sera l’abstention.

Des candidats à l’élection mis hors jeu

Plusieurs candidats déclarés à la présidentielle ont été mis hors de course. A la fin de novembre, l’ancien premier ministre et général de l’armée de l’air Ahmed Chafiq avait annoncé sa candidature des Emirats arabes unis, où il vivait. A son arrivée en Egypte, au début de décembre, il a disparu pendant environ vingt-quatre heures, avant d’annoncer qu’il y renonçait.

Le colonel Ahmed Konsowa s’est retrouvé en prison quelques jours plus tard, après avoir annoncé sa candidature, et a été condamné à six ans de prison pour « comportement nuisant aux exigences du système militaire ».

Le général Sami Anan, chef d’état-major de l’armée de 2005 à 2012, a été exclu de la course le 23 janvier, poursuivi par la justice militaire pour s’être engagé « sans l’autorisation des forces armées » et a été accusé de vouloir créer la « division » entre l’armée et le peuple.

L’ancien député devenu dissident Mohamed Anouar El-Sadate, neveu de l’ex-président Anouar El-Sadate, et l’avocat, défenseur des droits humains Khaled Ali ont jeté l’éponge, dénonçant des pressions.

Aux yeux des experts, aucun de ces candidats ne pouvait espérer remporter la présidentielle, mais leur participation aurait pu créer un débat sur les politiques menées par le président Sissi et fédérer le vote de l’opposition et des mécontents prêts à se déplacer dans les bureaux de vote au nom du « tout sauf Sissi ».

Deux candidats en lice

  • Abdel-Fattah Al-Sissi, candidat à sa succession

Abdel-Fattah Al-Sissi, 63 ans, est devenu l’homme fort de l’armée et de l’Egypte, à la faveur de la révolution de 2011. Militaire de carrière, nommé directeur du renseignement militaire par Hosni Moubarak, le général Sissi devient ministre de la défense sous le président islamiste Mohammed Morsi, en 2012. Il chasse ce dernier du pouvoir, avec l’armée, à l’été 2013 et réprime dans le sang ses partisans au sein de la confrérie des Frères musulmans.

Promu maréchal et vice-premier ministre, il se démet de ses fonctions gouvernementales et prend sa retraite de l’institution militaire pour se présenter à l’élection présidentielle du 28 mai 2014, qu’il remporte.

A la tête de l’Etat, il a laminé toute opposition, islamiste comme libérale, emprisonnant des centaines d’opposants, et a mis les institutions et les médias aux ordres. Sur le plan économique, M. Sissi a suscité l’approbation de ses partenaires internationaux en engageant une série de réformes soutenues par un prêt du Fonds monétaire international, mais durement ressenties par la population.

Sur le plan sécuritaire, une nouvelle offensive a été lancée en février contre l’insurrection djihadiste dans le Sinaï, dans l’espoir de remédier à un bilan peu flatteur en matière antiterroriste et à la multiplication des attentats.

  • Moussa Mustafa Moussa, le candidat de dernière minute

Après la série de défection et d’arrestations de candidats à la présidentielle, il fallait au président Sissi sauver les apparences d’un scrutin pluraliste. Le dirigeant du parti Ghad (« Demain »), Moussa Mustafa Moussa, n’a pas eu le temps de changer la bannière de sa page Facebook, illustrée de la photographie du président Sissi avec la mention « Nous vous soutenons pour la présidence de l’Egypte ».

Une fois collectées les signatures nécessaires de vingt députés, c’est en courant que ses adjoints sont allés déposer sa candidature à la commission électorale, quinze minutes avant la clôture officielle du dépôt des candidatures, le 29 janvier.

Jusqu’alors, ce petit parti libéral, qui ne dispose d’aucun siège au Parlement, organisait des réunions publiques pour recueillir des signatures de soutien à la candidature du chef de l’Etat. « Nous avons soutenu le président Abdel-Fattah Al-Sissi contre ses concurrents, mais, bien sûr, nous avons jugé approprié d’entrer dans la course quand tout le monde s’est retiré et que le président s’est retrouvé seul », a justifié M. Moussa sur la chaîne privée CBC.

Appels au boycott et arrestations

Plusieurs partis d’opposition ont lancé, à la fin de janvier, une campagne sous le slogan « Reste à la maison », pour encourager les Egyptiens à boycotter la présidentielle de mars, accusant le régime « d’empêcher toute compétition loyale ».

« Non à la participation à cette mascarade », a lancé Hamdeen Sabbahi, candidat à la présidentielle en 2012 et en 2014, au Caire, lors d’une conférence de presse de la coalition du Mouvement civique démocratique, formée de huit partis politiques d’opposition et de cent cinquante personnalités. Le lendemain, le président Sissi s’en est pris, sans les nommer, à ceux qui menacent la « sécurité » du pays.

Après avoir été agressé, le 27 janvier, Hicham Geneina, l’un des conseillers du général Sami Anan et ancien chef de l’autorité de contrôle des comptes publics, congédié par le président Sissi en 2016, a été arrêté sur ordre du parquet militaire, le 13 février.

La veille, l’armée avait promis de protéger son « honneur et sa dignité » en réponse à des accusations qu’il avait portées à la télévision, assurant que le général Sami Anan possédait des documents incriminant le sommet de l’Etat.

Le 15 février, le procureur de la sécurité d’Etat a ordonné la détention pour quinze jours d’un dirigeant de l’opposition, Abdel Moneim Aboul Foutouh. Le ministère de l’intérieur a accusé cet ancien candidat à la présidentielle d’avoir des contacts avec des membres des Frères musulmans en exil, « pour semer le trouble et l’instabilité » dans le pays.

Ancien dirigeant des Frères musulmans, M. Aboul Foutouh avait néanmoins soutenu les manifestations appelant au départ de l’ancien président islamiste, Mohamed Morsi. Selon un membre du bureau politique de L’Egypte forte, sa formation, le parquet l’accuse de « diriger une organisation terroriste » et de « diffuser de fausses informations ».