Jens Spahn et Angela Merkel au Bundestag, le 22 février. / Kay Nietfeld / AP

La meilleure façon de neutraliser un adversaire est d’en faire son obligé. C’est sans doute avec cette idée en tête qu’Angela Merkel a décidé de confier à Jens Spahn le portefeuille de la santé dans son prochain gouvernement. Révélée samedi 24 février dans la soirée par plusieurs médias allemands dont Bild, la Süddeutsche Zeitung et l’agence DPA, la nomination de celui qui incarne l’opposition à la chancelière au sein de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) doit être officiellement annoncée par Mme Merkel, dimanche en fin d’après-midi, lors d’une réunion de la direction de son parti.

A cette occasion, doivent être également dévoilés les noms des autres ministres qui ont été réservés à la CDU dans le « contrat de coalition » scellé, le 7 février, avec le Parti social-démocrate (SPD).

A vrai dire, la nomination de M. Spahn au gouvernement était attendue. Depuis la signature du « contrat de coalition », dont on saura le 4 mars s’il est approuvé par une majorité des 463 723 adhérents du SPD, la colère grondait à la CDU en raison notamment de la décision de Mme Merkel de céder le ministère des finances aux sociaux-démocrates.

Voyant dans ce geste la preuve d’une perte d’autorité de la chancelière, plusieurs de ses rivaux en interne ont estimé que le moment était venu de conclure avec elle une sorte de marché. En gros, lui ont-ils fait savoir, ils seront sommes prêts à valider le « contrat de coalition » lors du congrès de la CDU prévu le 26 février à Berlin, mais à condition qu’elle leur fasse de la place au gouvernement.

Désaccord profond entre Spahn et Merkel

Message entendu, leur avait répondu Mme Merkel. Invitée sur le plateau de la ZDF, le 11 février, la chancelière s’est engagée à ce que le prochain cabinet « reflète toutes les tendances » de la CDU, et accueille « des plus jeunes mais aussi de l’expérience ». Le jour même, dans une interview au journal autrichien Die Presse, Jens Spahn avait expliqué que la CDU n’était pas « une monarchie où l’on décide soit même de sa succession » et que le parti comptait « partout des gens très bien » pour incarner l’après-Merkel.

Quinze jours plus tard, voilà donc M. Spahn ministre de plein exercice. Elu pour la première fois au Bundestag en 2002, à l’âge de 22 ans, le député de Steinfurt-Borken (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), une circonscription proche de la frontière avec les Pays-Bas, avait été nommé secrétaire d’Etat auprès du ministre des finances, Wolfgang Schäuble, en 2015.

S’il s’est montré très sévère vis-à-vis de la politique d’accueil des réfugiés décidée par la chancelière cette année-là, son désaccord avec elle est en réalité bien plus profond. Dans son parti, M. Spahn fait en effet partie de ceux qui estiment que Mme Merkel a trop rapproché la CDU du SPD, au risque de perdre une partie de son électorat traditionnel. Une analyse confirmée, à ses yeux, par les élections législatives du 24 septembre 2017, lors desquelles la CDU a perdu environ un million de voix au profit du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) et près d’un million et demi au profit du Parti libéral-démocrate (FDP).

Nomination de deux fidèles de Merkel

En nommant M. Spahn au ministère de la santé, un domaine qu’il connaît bien pour avoir en avoir été le responsable au groupe CDU du Bundestag de 2009 à 2015 – ce qui lui valut à l’époque d’être accusé de conflits d’intérêts en raison de ses liens avec une société de lobbying spécialisée dans le secteur pharmaceutique –, la chancelière envoie donc un signal clair en direction de l’aile libérale-conservatrice de son parti, à la veille du congrès de lundi. Un rendez-vous au cours duquel les 1 000 délégués de la CDU doivent approuver le « contrat de coalition » et ratifier la décision annoncée par Mme Merkel, le 19 février, de nommer l’une de ses fidèles, Annegret Kramp-Karrenbauer, l’ex-ministre-présidente de la Sarre, comme secrétaire générale de la CDU.

Une autre nomination devrait être appréciée par l’aile libérale-conservatrice de la CDU : celle de Julia Klöckner au ministère de l’agriculture, un secteur qu’elle connaît bien elle aussi pour y avoir été secrétaire d’Etat de 2009 à 2011. Agée de 45 ans, la chef de file de la CDU en Rhénanie-Palatinat fut ces dernières années une avocate résolue du projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Elle est également connue pour ses prises de position contre l’avortement et pour l’interdiction de la recherche sur les cellules-souches embryonnaires.

Sauf surprise, Mme Merkel devrait également annoncer, dimanche, le maintien de deux de ses fidèles dans son prochain gouvernement. Ursula von der Leyen, d’abord, au ministère de la défense, poste qu’elle occupe depuis 2013. Peter Altmaier, ensuite, qui devrait récupérer le portefeuille de l’économie après avoir été pendant quatre ans le plus proche collaborateur de Mme Merkel en tant que ministre de la chancellerie et qui, depuis octobre 2017, assurait l’intérim de M. Schäuble au ministère des finances après l’élection de celui-ci à la présidence du Bundestag.