Dix-huit ans après son élection à la tête de l’Union chrétienne démocrate (CDU) et douze ans après son arrivée à la chancellerie, Angela Merkel n’a jamais été confrontée aussi directement à la question suivante : comment résister à ceux qui s’impatientent de la voir partir à la retraite ?

Certes, elle reste populaire : selon le dernier baromètre politique de la ZDF, publié vendredi 23 février, 68 % des personnes interrogées estiment qu’elle « fait bien son travail », et 52 % souhaitent qu’elle continue de diriger l’Allemagne. Mais l’usure du pouvoir est bien là, et, quand on leur demande s’ils veulent qu’elle reste chancelière jusqu’à la fin de la législature, en 2021, seuls 38 % des Allemands répondent positivement, 47 % préférant qu’elle passe la main en cours de mandat, d’après un sondage INSA paru le 17 février.

Angela Merkel, présidente de la CDU, est entourée par l’état-major du parti conservateur, à Berlin, le 25 février. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

Consciente de cette impatience, Mme Merkel a fait un pari : à défaut de pouvoir se rajeunir elle-même, elle a choisi de rajeunir son équipe. En témoigne sa décision de confier le ministère de la santé à Jens Spahn, son principal détracteur à l’intérieur de la CDU. Une nomination annoncée, dimanche 25 février, à la veille du congrès de la CDU, à Berlin, où les 1 000 délégués du parti sont appelés à donner leur feu vert au « contrat de coalition » scellé avec le Parti social-démocrate (SPD). Un accord qui, pour déboucher sur la formation d’un gouvernement, doit également être validé par les 463 723 adhérents du SPD, qui ont jusqu’au 2 mars pour voter.

Agé de 37 ans, vingt-six de moins que la chancelière, M. Spahn était, depuis 2015, secrétaire d’Etat aux finances. A l’automne de cette année-là, il fut le premier membre de la direction de la CDU à critiquer publiquement la politique d’accueil des réfugiés décidée par Mme Merkel.

Jens Spahn, secrétaire d’Etat aux finances, se rend à une réunion au siège de la CDU, à Berlin, le 18 février. / KAY NIETFELD / AP

Depuis, il est devenu le porte-parole de tous ceux qui estiment que celle-ci a trop rapproché la CDU du SPD, et que ce déplacement vers la gauche du centre de gravité du parti est à l’origine du mauvais résultat des conservateurs (33 % des voix) aux législatives du 24 septembre 2017. Un scrutin lors duquel un million d’électeurs ayant voté pour la CDU quatre ans plus tôt ont voté pour le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), et près d’un million et demi pour le Parti libéral-démocrate (FDP).

Promesse tenue

C’est à la même logique générationnelle et politique qu’obéit une autre nomination annoncée dimanche : celle de Julia Klöckner à l’agriculture. Agée de 45 ans, la chef de file de la CDU en Rhénanie-Palatinat, qui fut déjà secrétaire d’Etat dans ce même ministère de 2009 à 2011, est elle aussi appréciée à la fois par les libéraux et les conservateurs, autrement dit par ceux qui se considèrent comme ayant été les plus maltraités par la chancelière ces dernières années. Avocate résolue du projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis, Mme Klöckner est aussi connue pour ses prises de position anti-avortement et contre la recherche sur les cellules-souches embryonnaires.

Julia Klöckner (à droite), lors de la conférence de presse au siège de la CDU, à Berlin, le 25 février. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

Dimanche, en présentant à la presse les personnalités qu’elle a choisies pour occuper les portefeuilles réservés à la CDU dans le « contrat de coalition », Mme Merkel n’a pas manqué de tourner les choses à son avantage, rappelant notamment qu’elle avait tenu sa promesse de respecter la parité homme-femme.

Dans cette équipe, où seuls demeurent deux de ses fidèles membres de la coalition sortante (Peter Altmaier, qui récupère l’économie, et Ursula von der Leyen, qui conserve la défense), « je suis maintenant la seule qui a dépassé les 60 ans », a-t-elle aussi souligné.

Face aux journalistes, Mme Merkel a insisté sur la nomination d’Anja Karliczek au ministère de l’éducation. Inconnue du grand public, âgée de 46 ans et élue seulement depuis 2013 au Bundestag, elle a été directrice d’hôtel. Un profil atypique censé montrer que la chancelière a entendu les reproches de ceux qui, telle l’AfD, dénoncent l’incapacité des « partis du système » à promouvoir de nouveaux visages issus de la société civile.

Elections régionales

Avec ces différentes nominations, Mme Merkel pourra-t-elle restaurer son autorité ? A court terme, sans doute, du moins si l’on en croit les réactions positives formulées, dimanche soir, par plusieurs dirigeants de la CDU réputés frondeurs.

Par ailleurs, en nommant M. Spahn à la santé, un domaine qu’il connaît bien pour en avoir été chargé au groupe parlementaire CDU de 2009 à 2013 – ce qui lui valut à l’époque d’être accusé de conflits d’intérêts pour ses liens avec une société de lobbying spécialisée dans le secteur pharmaceutique –, la chancelière peut espérer le neutraliser, du moins dans un premier temps.

« Contrat de coalition » oblige, l’intéressé devra en effet conduire une politique qui, s’agissant par exemple du rapprochement des tarifs payés aux médecins par les caisses d’assurance-maladie publiques et privées, correspond plus aux idées des sociaux-démocrates qu’à celles de ses amis libéraux. Occupé à négocier des compromis avec le SPD et les partenaires sociaux, il devrait avoir plus intérêt à chercher l’appui de la chancelière qu’à la provoquer.

La politique, cependant, pourrait vite reprendre ses droits, et ce à l’occasion des élections régionales prévues dans la Hesse en octobre, puis dans la Saxe, le Brandebourg et en Thuringe, en 2019. En cas de mauvais résultats pour la CDU, la chancelière n’aura plus les mêmes cartes que celles dont elle dispose, en ce début de législature, pour monnayer le soutien de ses contempteurs.

Pourrait alors s’engager une rude bataille de succession entre les deux personnalités qu’elle vient de promouvoir à une semaine d’intervalle. M. Spahn, d’abord, qui a récemment déclaré que la CDU n’était pas une « une monarchie où l’on décide soit même de sa succession ». Annegret Kramp-Karrenbauer, ensuite, que Mme Merkel a désignée secrétaire générale du parti, le 19 février, mais qui a déjà fait savoir qu’elle ne se voyait pas comme son obligée. Ce que l’ex-ministre présidente de la Sarre, âgée de 55 ans, a confirmé dans un entretien au Spiegel paru samedi et où elle reconnaît qu’« il y aura très certainement des sujets sur lesquels [Mme Merkel et elle] auront des désaccords ».