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Alcool, tabac, cannabis, activités sexuelles à risque… Les étudiants en santé vont devoir explorer de plus près des thématiques inhabituelles durant leur cursus. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, et son homologue de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, devaient l’annoncer lors d’un déplacement à l’université d’Angers, lundi 26 février : dès la rentrée 2018, quelque 47 000 jeunes inscrits dans les filières de médecine, pharmacie, odontologie, maïeutique, ainsi qu’en études de soins infirmiers et de masseur-kinésithérapeute, devront effectuer un « service sanitaire » obligatoire.

Il s’agira pour ces étudiants de franchir la porte des collèges, des lycées, ou encore des universités, pour mener des actions de prévention, avec quatre thématiques privilégiées : l’alimentation, l’activité physique, les addictions et la santé sexuelle et affective.

Les modalités de mise en œuvre de cette mesure, qui figure parmi les engagements de campagne d’Emmanuel Macron, ont fait l’objet d’un rapport du professeur de médecine Loïc Vaillant, remis ce même jour aux ministres. Le chantier est « ambitieux », y reconnaît l’auteur, avec un nouveau dispositif à mettre en place auprès d’un très large public en quelques mois seulement.

« Trois étapes »

Pas question d’attendre pour enclencher le « virage préventif » prôné par le gouvernement. « La prévention est une priorité de notre stratégie nationale de santé, souligne Agnès Buzyn. L’enjeu de demain, c’est comment préserver son capital santé. Nous formons aujourd’hui nos professionnels aux soins, ils doivent également être imprégnés de la culture de la prévention. »

Du rapport du professeur Vaillant, le gouvernement retient les grandes lignes : ce service sanitaire va durer l’équivalent de trois mois, à mi-temps (ou six semaines à temps plein, ou 60 demi-journées). « Il se déroulera en trois étapes, explique Frédérique Vidal. Avec tout d’abord une période de formation, pour donner les outils nécessaires aux étudiants. Ensuite, ces derniers vont les déployer en situation, en menant une action de prévention. Enfin, ils effectueront une restitution dans le contexte académique. »

Dans un premier temps, les terrains de ces actions devraient se concentrer sur les collèges, lycées et universités, qui offrent un grand nombre de structures potentielles, avec des relais déjà clairement identifiés en matière de prévention (infirmiers et médecins de l’éducation nationale, services de santé universitaires). Mais le service sanitaire a aussi vocation à se déployer dans les entreprises, ou encore les Ehpad, les structures médico-sociales, les prisons… « Nous avons demandé aux agences régionales de santé et aux recteurs d’académie de recenser les lieux de stage. Les offres ne manqueront pas et nous avons besoin de prévention partout », explique Mme Vidal.

Pas de rémunération

Plus compliquées, en revanche, seront les questions logistiques, comme le souligne le rapport du professeur Vaillant, évoquant l’intégration de ce module dans les emplois du temps des étudiants des différentes filières. Ce service sanitaire, qui sera récompensé par l’obtention de « crédits » comme une classique unité d’enseignement, va en effet devoir être inséré par les écoles, instituts et facultés dans leurs maquettes de formation dès l’année prochaine. Avec une consigne : « Nous allons demander aux établissements de travailler sur des projets communs, afin que le service sanitaire soit l’occasion de faire collaborer ensemble les différentes professions de santé », indique Frédérique Vidal.

Les ministres ont surtout arbitré la question sensible du moment auquel va intervenir ce service sanitaire dans le cursus déjà chargé des étudiants en santé : pour les infirmiers, ce sera en deuxième ou troisième année, pour les pharmaciens en quatrième ou cinquième année, quand les futurs médecins s’y mettront durant leur troisième année d’études. Une décision qui devrait soulager les principaux intéressés, qui ne souhaitaient pas que « cela prenne la place d’un stage hospitalier [entre la quatrième et la sixième année], alors qu’on manque déjà de formation clinique », explique Yanis Merad, président de l’Association nationale des étudiants en médecine (ANEMF).

Le gouvernement n’a en revanche pas retenu la demande de l’association d’instaurer une rémunération pour ce service, comme pour un stage classique. Les ministres s’engagent néanmoins sur l’indemnisation des frais de déplacement. « Cela ne coûtera rien aux étudiants, assure Agnès Buzyn. Si le lieu de stage est éloigné, les frais de transports seront pris en charge. » D’après le rapport Vaillant, ce sont 6,75 millions d’euros qui seront nécessaires, si l’on respecte l’idée d’effectuer ce service loin de son lieu d’études.

C’est en effet un autre objectif affiché de ce service sanitaire, que certaines universités expérimentent déjà, comme celle d’Angers avec 80 étudiants volontaires qui se sont déplacés notamment à Cholet et Saumur pour mener leurs actions : lutter contre les inégalités sociales et territoriales, en touchant des publics qui bénéficient habituellement peu de dispositifs de prévention. « Les étudiants se déploieront de la manière la plus large possible, ils vont sortir des villes, aller dans les territoires ruraux. Nous veillerons à une bonne répartition territoriale », détaille Frédérique Vidal.