Un enfant victime d’une attaque, à Chafouniyé, dans la Ghouta orientale (Syrie), le 25 février. / MOHAMMED BADRA/EPA/MAXPPP

Depuis plus de six mois, à l’écart du champ de bataille syrien, de discrètes négociations se déroulent entre émissaires russes, personnalités de l’opposition syrienne et représentants des groupes armés anti-Assad, pour tenter de trouver une issue pacifique à la question de la Ghouta orientale.

Ces contacts, relancés ces derniers jours, à mesure que les bombardements se sont intensifiés sur cette banlieue rebelle de Damas, poursuivent deux objectifs. D’abord, transférer les combattants djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham – ex-Front Al-Nosra, un groupe issu d’Al-Qaida, classé « terroriste » par l’ONU – présents dans la Ghouta orientale, vers la province d’Idlib, dans le nord-ouest du pays. Et conclure un accord de réconciliation entre les rebelles et le régime, les premiers baissant les armes en échange d’une forme d’autonomie.

Lundi 26 février, au surlendemain de l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies d’une résolution appelant à une trêve d’un mois dans toute la Syrie, Mikhaïl Bogdanov, ministre adjoint des affaires étrangères russes, a encore rencontré au Caire le principal médiateur de ces tractations, Ahmed Jarba. Ex-président de la coalition de l’opposition syrienne, proche de l’Egypte et des Emirats arabes unis, ce dernier est aujourd’hui à la tête d’un petit parti, Souria Al-Ghad (« La Syrie de demain »). Les discussions entre les deux hommes ont porté sur la conférence de Sotchi, grand-messe syro-syrienne organisée par Moscou à la fin janvier, sans guère de résultat, ainsi que sur la situation dans la Ghouta orientale.

« Les corridors humanitaires doivent être mis en place avec le consentement de toutes les parties », prévient Ingy Sedky, la porte-parole de la Croix-Rouge à Damas

« Nous n’avons pas fait de progrès, je pense que l’on se dirige vers une invasion totale », a confié au Monde sur un ton dépité Monzer Akbik, bras droit d’Ahmed Jarba. Autrement dit, une poursuite des bombardements, qui ont fait près de 550 morts depuis le 18 février, doublée d’une attaque terrestre de l’enclave rebelle. Lundi, le ministre russe de la défense, Sergueï Choïgou, avait annoncé qu’une trêve humanitaire serait mise en place tous les jours, à partir de mardi, entre 9 heures et 14 heures, pour permettre l’évacuation des civils à travers des « corridors humanitaires », tout en prévenant que « l’escalade » se poursuivrait.

Une interprétation au rabais de la résolution onusienne, qui a été aussitôt critiquée par les capitales occidentales et les organisations humanitaires. « Cinq heures, c’est mieux que pas d’heures, mais nous voudrions que toute cessation des hostilités soit prolongée de trente jours, comme l’a stipulé le Conseil de sécurité », a réagi le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric. « Les corridors humanitaires doivent être mis en place avec le consentement de toutes les parties, de façon à ce que les personnes qui veulent partir puissent le faire en toute sécurité, prévient Ingy Sedky, porte-parole de la Croix-Rouge à Damas. Et celles qui veulent rester doivent être protégées contre toute attaque. »

Or, si le pilonnage du régime a baissé en intensité depuis dimanche, il n’a jamais cessé : vingt-deux civils, dont sept enfants, ont encore trouvé la mort lundi dans des raids aériens et des tirs d’artillerie. Pour les opposants syriens, l’annonce russe constitue une sinistre répétition des derniers jours d’Alep-Est, en décembre 2016. Les forces loyalistes avaient déjà, à cette époque, promis des corridors humanitaires, tout en poursuivant leur attaque, qui avait abouti au départ forcé de 35 000 opposants, civils et combattants mélangés. « L’offensive terrestre a déjà commencé, reconnaît un journaliste du camp progouvernemental. Du temps a été donné pour des négociations afin d’éviter une violente bataille. Mais cela n’a pas abouti. »

Ces tractations ont culminé durant l’été et l’automne 2017, dans le cadre du processus de « désescalade » mené par la Russie. Au Caire au mois de juillet, des représentants de Jaych Al-Islam (l’Armée de l’islam), une formation salafiste proche de l’Arabie saoudite et qui est le groupe armé le plus puissant de la Ghouta orientale, avaient conclu avec les envoyés de Moscou, sous les encouragements d’Ahmed Jarba, un accord prévoyant un arrêt des combats et un acheminement d’aide humanitaire dans l’enclave alors assiégé depuis plus de quatre ans. Autre faction armée de ce territoire, Faylaq Al-Rahmane (« La Légion du Tout-Miséricordieux »), patronnée par le Qatar et proche des Frères musulmans, était parvenue à un accord similaire, lors d’une rencontre avec des délégués russes, au mois d’août à Genève.

« En plus du cessez-le-feu, Jaych Al-Islam a voulu convaincre les Russes d’octroyer à la Ghouta orientale un statut autonome, avec des garanties que l’armée syrienne ne pénétrerait pas dans leur fief », explique Sinan Hatahet, un analyste proche de l’opposition syrienne. En échange, les deux groupes armés s’engageaient à faire pression sur Hayat Tahrir Al-Cham, qui ne compte que quelques centaines de combattants sur place, sur un total d’hommes en armes estimé à 20 000, pour qu’il évacue la Ghouta orientale.

« Le régime veut une soumission totale »

« En août et encore une fois en novembre, lorsque nous avons revu les Russes à Genève, nous leur avons dit que nous étions prêts à faire partir Hayat Tahrir Al-Cham », dit Wael Al-Olwan, porte-parole de Faylaq Al-Rahmane. En décembre, des sources au sein de l’opposition avaient signalé l’arrivée, au nord de la Ghouta orientale, des fameux bus verts auxquels le gouvernement syrien recourt pour purger les zones qu’il reprend à ses opposants. Le signe d’un possible accord sur le départ des djihadistes.

Mais rien de tel ne s’est passé. Selon des sources convergentes, les négociations ont buté sur le groupe Faylaq Al-Rahmane, dont le régime exige aussi le départ, en le présentant comme un allié de Hayat Tahrir Al-Cham. Mi-novembre et à nouveau fin décembre 2017, les combattants de Faylaq ont attaqué une importante base militaire en lisière de Harasta, dans le nord-ouest de la Ghouta orientale. Une opération qui a coûté à l’armée syrienne de nombreux soldats et à laquelle Hayat Tahrir Al-Cham a participé, en couverture. Vu de Damas, Faylaq Al-Rahmane n’est pas un partenaire de réconciliation crédible, alors que le maintien dans l’enclave de Jaysh Al-Islam, dont l’idéologie est pourtant plus radicale, serait acceptable.

Côté opposition, on conteste la thèse d’accointances idéologiques entre Faylaq Al-Rahmane et Hayat Tahrir Al-Cham, en faisant valoir que les deux n’ont collaboré que de manière épisodique, surtout lors d’affrontements internes, contre Jaych Al-Islam. Les anti-Assad arguent aussi que les bombardements sur la Ghouta orientale, après une légère diminution durant l’été 2017, ont redoublé de vigueur en novembre, et que l’aide humanitaire promise n’est jamais parvenue au territoire rebelle. « Accuser Faylaq Al-Rahmane, c’est la vieille tactique du régime pour semer la discorde entre les rebelles, assure Sinan Hatahet. La vérité, c’est que le régime ne veut pas entendre parler d’autonomie, il veut une soumission totale. »

Dans un ultime effort pour empêcher une offensive terrestre, les deux principales factions de la Ghouta orientale ont envoyé, lundi 26 février, une lettre au Conseil de sécurité de l’ONU. Dans ce courrier que Le Monde s’est procuré, elles se disent prêtes à faire sortir les combattants de Hayat Tahrir Al-Cham « dans les quinze jours suivant l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu ». Mais il est peu probable que cette initiative suffise à faire reculer le régime syrien et son allié russe.