Docu-fiction sur Arte à 22 h 20

Mêler images d’archives et scènes reconstituées est un exercice télévisuel délicat. De fait, rares sont les docu-fictions vraiment réussis, en raison de reconstitutions peu crédibles – souvent faute de moyens ou d’un équilibre entre réalité et fiction qui ne fonctionne pas. Raison de plus pour recommander cette production allemande racontant de manière originale le terrible siège de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), qui débuta le 8 septembre 1941 pour s’achever au début de l’année 1944. Soit huit cent soixante-dix jours de blocus et d’horreurs qui aboutirent à la mort d’un million de civils.

Témoignages de premier plan

La faim, le froid et les bombardements incessants planent sur cet épisode tragique de l’histoire ­contemporaine, comme le rappellent les nombreux témoignages recueillis. La richesse des interventions, notamment celles de civils soviétiques ayant vécu le siège, fait la force de ce film. Et comme les scènes reconstituées, notamment celles des combats, sont réussies, on assiste à un spectacle total.

La bonne idée a aussi été de tisser l’histoire d’une ville à la fois sublime et martyre avec celle d’une œuvre musicale pour le moins originale. A l’époque, le pouvoir stalinien fait pression sur le célèbre compositeur Dmitri Chostakovitch (1906-1975), né et vivant à Leningrad, pour que ce dernier termine au plus vite la symphonie qu’il est en train d’écrire. Cette œuvre est destinée à célébrer la résistance héroïque de la population locale face à ­l’envahisseur nazi.

Outre des témoignages de premier plan (dont celui de Maxime, le fils du compositeur), certaines scènes reconstituent le travail de Chostakovitch, mais aussi celui du chef d’orchestre Carl Eliasberg. Personnage-clé de ce documentaire, celui-ci est chargé de faire jouer cette fameuse symphonie à la Philharmonie de Leningrad, en l’absence du maître. En effet, sur ordre du Parti, Chostakovitch a été évacué de la ville pour terminer cette œuvre à l’abri des bombes, du côté de Kouïbychev (aujour­d’hui Samara), à 1 700 km au sud-ouest, sur les bords de la Volga. La mission d’Eliasberg est claire, à défaut d’être aisée : il faut faire jouer cette symphonie au cœur de l’enfer qu’est devenue Leningrad.

Dmitri Chostakovitch (joué par Florian Panzner) vient de terminer la « Symphonie n° 7 ». / GEBRUEDER BEETZ FILMPRODUKTION

Comment ne pas mourir de faim et de froid pour les civils ? Comment ne pas mourir tout court pour les soldats allemands et soviétiques ? Comment faire que la vie puisse continuer dans une ville assiégée et bombardée sans répit ? Comment remplacer les musiciens de l’orchestre morts d’épuisement ou sous les bombes ? Autant de problématiques qui apparaissent à l’écran. Avec des personnages attachants comme Fritz Fuchs, militant communiste viennois réfugié avec son épouse à Leningrad. Prothésiste dentaire de formation, le Viennois découvrira le pouvoir de la radio et en fera un instrument de propagande efficace, adressant des messages en langue allemande aux soldats de la Wehrmacht tout proches.

Le 8 août 1942, dans une salle de la Philharmonie ayant échappé aux destructions et devant un public ému, Eliasberg et son orchestre de fortune jouent la 7e Symphonie de Chostakovitch. Le concert est retransmis à la radio à travers la ville, jusqu’aux premières lignes allemandes. L’espace d’un instant, l’art a triomphé de la barbarie.

La Symphonie de Leningrad, la lutte d’une ville assiégée, de Carsten Gutschmidt et Christian Frey (Allemagne, 2017, 89 min).