L’artiste américaine Lana Del Rey au festival britannique de Glastonbury, le 28 juin 2014. / LEON NEAL/AFP

Le constat des programmations « ultratestostéronées » des festivals de musique n’est pas nouveau, mais la prise de conscience est désormais de rigueur. Lundi 26 février, quarante-cinq festivals américains et européens se sont engagés à combattre les inégalités de genres en promettant un partage équilibré femmes-hommes dans leurs programmations, jurys, commissions, et conférences d’ici à 2022.

En France, le Midem, grand rendez-vous annuel cannois de l’industrie musicale, et le Worldwide Festival, à Sète, ont pris cet engagement. C’est aussi le cas des BBC Proms, célèbre festival de musique classique organisé à Londres, et de l’A2IM Indie Week, organisée à New York par l’association américaine de la musique indépendante.

Les festivals canadiens sont bien représentés dans cette liste, avec notamment la Canadian Music Week de Toronto et North by North East. Enfin, on trouve parmi les huit premiers signataires de l’initiative Iceland Airwaves, le festival rock et electro de Reykjavik, et The Great Escape, qui a lieu à Brighton en Grande-Bretagne.

« Un très mauvais service en maintenant le statu quo »

A l’origine de cette promesse ambitieuse, la fondation britannique PRS a choisi de mobiliser en ligne à travers le programme « Keychange », qui vise à aider les femmes à transformer l’industrie musicale.

« J’espère que ce sera le début d’un secteur plus équilibré qui engendrera des bienfaits pour tout le monde », a expliqué Vanessa Reed, dirigeante de la fondation, citée par l’AFP. Selon elle, les femmes n’ont représenté en 2017 que 26 % de la programmation des festivals britanniques. La dirigeante précise dans un communiqué de presse que le choix de se focaliser sur les inégalités de genres dans la musique coïncide avec « le centenaire du droit de vote pour certaines femmes [à partir de l’âge de 30 ans] au Royaume-Uni ».

Plusieurs artistes et producteurs ont également soutenu l’initiative. A l’image d’Emily Eavis, organisatrice de l’important festival britannique de Glastonbury, de Tony Visconti, célèbre producteur de David Bowie, ou encore de Shirley Manson, la charismatique chanteuse du groupe Garbage. Cette dernière a ainsi déclaré :

« Je reste totalement indignée par les statistiques déprimantes entourant la représentation féminine dans tous les aspects de l’industrie musicale mondiale. Nous rendons un très mauvais service, non seulement aux femmes de toutes les races et de tous les milieux socio-économiques, mais à tous les genres, à la culture et à la société en général en permettant le maintien du statu quo. »

« Ne serait-ce pas génial pour nous tous de voir davantage d’égalité entre hommes et femmes sur scène et dans les jurys dans un proche avenir ? » s’est également questionné Tony Visconti.

Encore beaucoup de chemin à parcourir

L’initiative Keychange, qui espère arriver à une centaine d’événements engagés d’ici à la fin de l’année, a justement ses limites. Elle n’inclut pas de nombreux festivals, dont les plus célèbres, qui présentent souvent des hommes en têtes d’affiche. En avril, le festival californien de Coachella aura par exemple une seule femme, Beyoncé, parmi ces trois têtes d’affiche.

Le 23 janvier, Lily Allen avait frappé fort en dénonçant le déséquilibre femmes-hommes dans la programmation du festival londonien Wireless. « La lutte est réelle », avait écrit la chanteuse sur Twitter en l’accompagnant d’une photographie.

Celle-ci reprenait l’affiche (quasi complète) de la programmation de l’événement musical, qui se déroule chaque été depuis 2005. Avec une modification de taille, Lily Allen avait supprimé tous les artistes masculins de l’affiche. Résultat : sur trente-sept artistes et groupes annoncés, seuls trois noms féminins — Mabel, Cardi B, Lisa Mercedez — restaient visibles. Son message a jusqu’ici été partagé plus de 2 700 fois.

« C’est épouvantable. Très très gênant », avait réagi la programmatrice, DJ et animatrice respectée de la BBC Radio One. Paul Pacifico, président de l’Association de la musique indépendante, qui regroupe plusieurs labels indépendants, qualifiait cette programmation d’« absurde » sur la BBC :

« La moitié de la population est féminine, la moitié des personnes qui viendront seront des femmes — cela semble absurde que le festival Wireless n’ait pas conçu une programmation un peu plus équilibrée. »

Le chemin à parcourir semble encore long. En juin 2017, une étude réalisée sur 600 groupes et artistes au programme de quatorze festivals britanniques laissait apparaître que huit têtes d’affiche sur dix étaient masculines, relevait alors la BBC.

L’évolution entre 2008 et 2017 en pourcentage de la proportion d’artistes masculins, féminins, et mixtes, parmi les grands festivals britanniques. / BBC

Cette initiative s’inscrit dans un contexte où de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le sexisme institutionnel dans l’industrie du divertissement et dans le reste de la société. Le mouvement de libération de la parole des femmes, provoqué par l’affaire Harvey Weinstein, a atteint le monde de la musique, où plusieurs hommes ont été accusés de harcèlement et d’agression sexuelle.