Si l’écran « sans bords » était un virus virulent, le patient zéro serait le Galaxy S8, apparu il y a exactement un an. Ce Samsung était le premier dont l’écran dévorait ses marges. Le tableau clinique était clair : un écran inhabituellement allongé vers le haut, qui rogne les bords supérieurs et inférieurs du mobile. En douze mois, le « virus de l’écran sans bords » s’est répandu à une vitesse foudroyante. Au salon de Barcelone qui s’achève le jeudi 1er mars, on comptait cinq smartphones contaminés pour un smartphone épargné. Les téléphones intelligents classiques, dotés d’un écran 16/9 traditionnel, sont d’ores et déjà en voie de disparition.

L’écran du Galaxy S9, aux marges particulièrement fines, a lancé la mode. / Samsung

Ce format « sans bords », aussi appelé « 18/9 », s’est rapidement propagé au bas de gamme. Le constructeur Echo proposait par exemple quatre modèles 18/9 sous la barre des 100 € au Mobile World Congress. Wiko en dévoilait deux ; Alcatel, un. Habituellement, les innovations technologiques se diffusent lentement vers les smartphones économiques. Mais les écrans 18/9 échappent à cette logique : il ne sont ni difficiles à fabriquer ni coûteux. C’est une innovation qui tient tout entière dans une idée, une idée virale, suffisamment séduisante pour doper la consommation dans un secteur où l’innovation ralentit. Les ergonomes que nous avions interrogés en octobre hésitaient pourtant à qualifier cette idée de « bonne ».

Des vertus, mais surtout des défauts

Ces écrans ont bien quelques vertus. Ils permettent d’augmenter la surface d’affichage sans élargir le smartphone. L’espace supplémentaire gagné tout en haut de l’écran s’avère utile de temps à autre. Lorsqu’on ouvre le calendrier, par exemple, on voit quelques heures s’afficher en plus. Lorsqu’on rédige un long message, les premières lignes sont moins vite coupées par le haut de l’écran. Cependant, la plupart des applications n’en profitent pas. Certaines, comme le lecteur de vidéos, en souffrent même.

La zone qu’on peut atteindre avec le pouce, sans faire glisser le mobile en main, sur un mobile classique (à droite) et sur un 18/9. / Quentin Hugon / Le Monde

Mais les smartphones « sans bords » ont surtout des défauts. Ils sont plus difficiles à manipuler : on les attrape plus difficilement puisqu’ils n’ont presque plus de marges. Le pouce n’arrive plus à atteindre le haut de cet écran si grand. Cette zone est pourtant cruciale : c’est là que se nichent les alertes et les raccourcis rapides. Enfin, sur Android, les boutons du bas sont plus difficiles à atteindre, à moins d’avoir un pouce particulièrement souple. Globalement, le confort en main régresse.

La hiérarchie questionnable

Entre les écrans sans bord, une hiérarchie s’est dessinée. Certains modèles ont des marges plus fines que d’autres. Leur écran occupe environ 85 % de leur surface, alors qu’elle se limite à 70 % de la surface des modèles bas de gamme.

Le Samsung S8 (à gauche) occupe près de 85 % de l’écran contre environ 75 % pour l’Achos Core S. / Samsung / Archos

En outre, certains afficheurs sont plus allongés que d’autres. Un écran 19/9 est plus étiré dans le sens de la hauteur qu’un 17/9, par exemple. Sur le plan ergonomique, pourtant, un mobile 17/9 est plus facile à manipuler.

Le virus du 18/9 se propage tellement vite qu’en 2019 il sera difficile de dénicher un smartphone doté d’un écran 16/9 classique. Une frange considérable des utilisateurs risque d’en souffrir. Lorsqu’on n’a pas l’heur d’être rapide, jeune, adroit de ses mains, agile de ses doigts, et hypercommuniquant, les écrans 18/9 ne représentent pas un progrès.