Editorial du « Monde ». On ne change pas une méthode qui marche – ou, en tout cas, qui a marché jusqu’à présent. Telle pourrait être la devise du pouvoir exécutif. Déterminé à engager une réforme en profondeur de la SNCF, il procède comme il l’a fait à l’automne 2017 sur le dossier réputé hautement inflammable du droit du travail, puis sur ceux non moins épineux de l’entrée à l’université et du baccalauréat.

Dans chaque cas, avec des variantes, la démarche politique est la même. Le gouvernement se présente comme un réformateur avisé, affrontant enfin avec lucidité des transformations indispensables et trop longtemps différées. Ainsi pour la SNCF : personne ne peut le contester, la situation de l’entreprise ferroviaire est lourdement handicapée par une dette cumulée de quelque 50 milliards d’euros, elle n’a donc pas réalisé depuis des années les investissements nécessaires à sa modernisation et elle va aborder en position de faiblesse l’ouverture du rail à la concurrence à partir de 2020.

Devant cette situation « intenable », il y a donc urgence à réagir, comme l’a plaidé le premier ministre, lundi 26 février. Dix jours après le rapport de M. Spinetta posant le diagnostic, Edouard Philippe a fixé un calendrier des plus rigoureux pour boucler la réforme avant l’été. Sans craindre de heurter les syndicats qui dénoncent ce « passage en force » autant que les parlementaires de droite ou de gauche qui déplorent un « déni de démocratie », il a choisi de déposer, dès la mi-mars, après une très courte phase de discussion avec les syndicats, un projet de loi l’autorisant à procéder par ordonnances. Vite fait, bien fait, tel est le premier pari.

Efficacité de la manœuvre gouvernementale

Pour réussir, il lui importe de gagner la deuxième bataille du rail, celle de l’opinion. Sans craindre de forcer le trait. Faisant du statut des cheminots l’un des archaïsmes majeurs qui pèsent sur la gestion de la SNCF, soulignant la dégradation de la qualité du service public ferroviaire (ponctualité, sécurité, prix des billets, maillage du territoire), il s’est posé en premier défenseur des usagers du train.

Non sans habileté, il a circonscrit la suppression du statut aux futurs embauchés, renvoyé à 2019, dans le cadre de la réforme générale des retraites, la question délicate de celle des cheminots, et à 2020, au moment de l’ouverture à la concurrence, celle des petites lignes déficitaires. Quelle que soit leur volonté de combattre la réforme, les syndicats ne mésestiment pas l’efficacité de la manœuvre gouvernementale. Plutôt que de foncer tête baissée, ils ont renvoyé à la mi-mars le choix de leur riposte, bien conscients que nous ne sommes plus dans la situation de 1995, lorsque les cheminots, largement soutenus par les Français, avaient paralysé le pays et fait reculer le gouvernement Juppé.

Reste une évidence. Quoi qu’il advienne de ces deux premières batailles, leur sort ne réglera en rien la plus stratégique : celle de la dette qui plombe terriblement la SNCF, sa capacité à se moderniser et à affronter, demain, la concurrence. Or c’est le point aveugle du plan gouvernemental. Si l’Etat se dit prêt à prendre sa part de cette dette, il reste des plus évasif sur le calendrier (d’ici à « la fin du quinquennat »…), le montant qu’il envisage d’éponger et les modalités de cet apurement.

Au-delà des aménagements de statut ou de gouvernance, c’est la question cruciale. Faute d’y répondre clairement, le gouvernement s’expose, au bout du compte, à apparaître plus matamore que réformateur.