« Chérie Coco », c’est l’histoire de Marie et Yvan, un couple de trentenaires vivant à Dakar, elle jalouse, lui un brin macho, dont la vie quotidienne s’égrène au fil de sketches d’une durée moyenne de 40 secondes. Avec le même écran partagé en deux parties – rose pour elle, bleu pour lui –, la série est directement inspirée du format original québécois « Un gars, une fille ». Produite au Sénégal, « Chérie Coco » incarne « la société africaine contemporaine », annonçait Canal + lors du lancement de ce programme, en novembre 2017 : « C’est la série “coupée-décalée” où l’humour permet la rencontre de la tradition et de la modernité, pour être au plus proche des téléspectateurs. »

« Chérie Coco », « Sœurs ennemies », « Parents mode d’emploi », « Ma famille »… Ces dernières années, avec l’arrivée de nouvelles chaînes de télévision en Afrique francophone, les contenus produits localement se sont multipliés. Au Sénégal, la chaîne leader, Télé Futurs Médias (TFM), a même complètement revu sa stratégie, comme l’explique Mamoudou Ibra Kane, directeur général du Groupe Futurs Médias : « Au lancement, en 2010, nous diffusions 30 % de programmes extérieurs. Dès la fin de l’année, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une forte demande de séries locales. Et aujourd’hui, plus de 90 % des contenus sont des programmes locaux. »

Un média majoritairement féminin

Canal + ou TV5 Monde ont suivi la même voie, comme l’explique Nathalie Folloroux, directrice de la programmation de Canal + International : « Sur nos chaînes, il y a de plus en plus de séries courtes produites localement, et nous allons lancer plusieurs séries longues faites en Afrique, afin de répondre à l’attente de proximité de nos téléspectateurs. » Pour Arnaud Annebicque, directeur du développement Afrique et Europe chez Médiamétrie, une société française spécialisée dans la mesure d’audience, il existe une réelle appétence de la population pour les séries locales : « Celles qui marchent le mieux sont les séries romantiques, car en Afrique la télévision est majoritairement un média féminin. »

« Il s’agit d’une véritable démarche culturelle, affirme Tidiane Dioh, responsable de programme médias à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). La question se posait : les productions qui viennent d’ailleurs parlent-elles vraiment aux populations qui les regardent ? À travers ces productions, les Africains se réapproprient leur histoire. » Même son de cloche chez la scénariste et réalisatrice ivoirienne Marina Niava : « Dans ces séries, les gens sont contents de se retrouver. La série “Ma famille”, par exemple, a connu un grand succès en Côte d’Ivoire parce qu’on y retrouve le quotidien d’une famille avec un langage et un humour bien à nous. »

Si ces séries sont des succès d’audience, c’est parce qu’elles abordent des problématiques rencontrées par la population locale. La série « Brouteur.com », dont la troisième saison est actuellement diffusée sur TV5 Monde, en est un exemple. Réalisée par Alain Guikou, elle raconte l’histoire de cyberescrocs qui font chanter leurs victimes en Europe pour leur soutirer de l’argent ; un phénomène traité avec humour dans la série. « Les séries locales ont une approche moins déprimante de l’Afrique que les productions européennes. Elles arrivent à parler de vrais problèmes de société en y ajoutant du comique, du léger », analyse Marina Niava.

500 000 euros pour 100 épisodes

L’autre atout de ces productions locales est leur coût. Mamoudou Ibra Kane, du Groupe Futurs Médias, l’avoue : « Il y a une nette différence de prix entre une production locale et une production occidentale, notamment grâce à la main-d’œuvre. Pour une série produite au Sénégal, les 100 épisodes peuvent nous coûter jusqu’à 350 millions de francs CFA [environ 530 000 euros]. » Des coûts qui ont augmenté depuis les années 2000, car pour satisfaire un public, des diffuseurs et des publicitaires de plus en plus exigeants, le niveau de production a dû monter en qualité.

« Pour faire des productions africaines de qualité, tout est une question de financement. Or le financement des chaînes provient en grande partie des revenus publicitaires », rappelle Arnaud Annebicque, de Médiamétrie. Plus une série est regardée, plus la chaîne vendra cher ses spots publicitaires, et plus elle pourra investir d’argent dans une nouvelle série. Problème : selon Arnaud Annebicque, « la plupart des pays d’Afrique subsaharienne n’ont pas la capacité financière de calculer automatiquement, minute par minute, l’audience. » Nathalie Folloroux, de Canal +, confirme : « À l’heure actuelle, il n’est pas possible de savoir l’audience exacte de tel ou tel programme. Pour connaître les goûts de nos abonnés, nous réalisons chaque année plusieurs études qualitatives et quantitatives internes. »

Pour la réalisatrice Marina Niava, « si les budgets de production ont augmenté, ils restent encore trop faibles ». « Il n’y a pas de forts apports du secteur privé, réunir les fonds est donc très compliqué, déplore-t-elle. Parfois, nous sommes amenés à tourner en même temps que la série est diffusée à la télévision. » La jeune cinéaste a remporté en 2016 des fonds de l’OIF pour financer une partie de sa première série, intitulée « 21 », dont la production débutera en avril.