Depuis des semaines, ils sont des milliers à traverser le lac Albert. Affamées, terrorisées et parfois malades du choléra, 40 000 personnes auraient fui les violences qui font rage dans la province de l’Ituri, en République démocratique du Congo (RDC). Ils viennent trouver protection en Ouganda, où, malgré la faiblesse des ressources, un modèle d’accueil original s’est construit avec les vagues successives de populations provenant de RDC ou du Soudan du Sud.

« Kampala a développé depuis des années la politique de réfugiés la plus progressiste du monde », confirme Carlos Martin Ruiz de Gordejuela, porte-parole d’ECHO, le programme humanitaire de l’Union européenne (UE), l’un des principaux pourvoyeurs de fonds pour les programmes de réfugiés en Ouganda.

Non contentes d’accueillir les réfugiés, les autorités encouragent les communautés locales à leur céder des terrains pour qu’ils puissent habiter et même cultiver. « Il s’agit d’un modèle gagnant-gagnant, résume Jean-Luc Anglade, le représentant de Médecins sans frontières (MSF) en Ouganda. Les communautés hôtes bénéficient en retour des services et des équipements (écoles, dispensaires, etc.) fournis par les organisations humanitaires. »

Immense malaise

Au total, ils seraient près de 1,5 million de réfugiés à vivre en Ouganda, si l’on en croit le bureau du premier ministre. Mais ce chiffre, qui conditionne le volume de l’aide à apporter, est remis en cause depuis plusieurs semaines. Des responsables gouvernementaux – dont le commissaire aux réfugiés, David Kazungu, officiellement remplacé cette semaine – sont soupçonnés de l’avoir gonflé et d’avoir pioché dans les caisses. Le gouvernement a assuré qu’une enquête était en cours, mais l’affaire a provoqué un immense malaise. « Dès que nous avons été informés de ces allégations, nous avons soumis l’affaire à l’Office européen de lutte antifraude », affirme Carlos Martin Ruiz de Gordejuela.

Depuis septembre 2017, des responsables d’ONG et d’institutions prévenaient officieusement que ces chiffres ne correspondaient pas à la réalité et qu’une partie de l’aide était détournée. Mais l’afflux massif de réfugiés et l’étendue des zones d’accueil rendaient impossibles toute contre-vérification exhaustive. Principale conséquence, selon Teresa Ongaro, porte-parole régionale du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) : « Le travail fourni dans le soutien aux réfugiés et aux communautés qui les accueillent pourrait être sérieusement compromis. Le retour que nous avons de nos donateurs est qu’ils suspendent leurs financements jusqu’à ce que nous soyons en mesure de vérifier les chiffres. »

Embarrassé par cette situation, le HCR a annoncé, jeudi 1er mars, le lancement d’une vaste opération d’enregistrement biométrique de tous les réfugiés présents en Ouganda. « Tout ce qui va dans le sens d’une amélioration du recensement des réfugiés est bon à prendre », approuve Jean-Luc Anglade, de MSF, même s’il estime que cet enregistrement doit être « fluidifié », au risque sinon de créer un engorgement. Prévue pour durer jusqu’en septembre, cette mesure devrait permettre, selon Teresa Ongaro, de restaurer la confiance des donateurs.

« Tolérance zéro »

La situation est en effet préoccupante. Sur un budget prévisionnel de 560 millions de dollars (environ 460 millions d’euros) pour l’année 2017, le HCR n’avait reçu que 39 % des fonds. Des problèmes de financement qui avaient alors abouti à des coupes sèches dans les rations des réfugiés. Et alors que l’année 2018 démarre avec une nouvelle crise humanitaire, seuls 5 % des fonds prévus ont été recueillis à ce jour. Un gel des contributions pourrait avoir des conséquences désastreuses sur le financement des opérations en cours.

« L’UE adopte une approche de tolérance zéro en ce qui concerne toute allégation de mauvaise conduite dans le cadre des projets qu’elle finance », explique M. Ruiz de Gordejuela. Et si ECHO n’a pas suspendu ses versements, son avertissement est clair : « Les nouveaux projets devront donner l’assurance que des mesures ont été mises en place pour atténuer les risques. Une fois les enquêtes terminées, la situation sera réévaluée. »

Carlos Martin Ruiz de Gordejuela se veut néanmoins confiant. Selon lui, « l’UE est persuadée que cette vérification aura un impact positif ». Du reste, pour beaucoup d’observateurs, la communauté internationale n’a guère le choix. Même avec un tiers de réfugiés en moins par rapport aux chiffres officiels – estimation la plus élevée –, l’Ouganda demeure un partenaire incontournable dans la gestion des réfugiés.