Le marchand d’art Guy Wildenstein (à droite) avec ses avocats Hervé Temime (à gauche) et Eric Dezeuze lors du procès au tribunal de Paris, en janvier 2017. / ALAIN JOCARD/AFP

Les Wildenstein, héritiers d’une célèbre dynastie de marchands d’art, devaient revenir, le 2 mars, à la barre du tribunal, dans un procès qui devrait durer jusqu’au 23 mars. Ils étaient accusés en première instance par la procureure Monica d’Onofrio d’être les bénéficiaires de la « fraude fiscale la plus sophistiquée et la plus longue de la Ve République », laquelle attestait, selon elle, de la « mise en place de procédés, des montages conçus par des professionnels avertis, à destination d’une famille qui a vécu dans l’opulence en payant peu d’impôts, que les citoyens du monde ne supportent plus ».

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Le Parquet national financier, institution créée en 2013 après le scandale Cahuzac, a fait appel d’un premier jugement, rendu le 2 janvier 2017 par la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris, qui relaxait les prévenus. Un « cas d’école », selon les avocats Emmanuel Daoud et Victoire de Tonquédec, qui, dans un article très argumenté (« L’affaire Wildenstein, un cas d’école du traitement de la fraude fiscale par le juge pénal », Actualité Juridique pénale, Dalloz, avril 2017), considèrent qu’« en appliquant strictement la loi pénale et le code de procédure pénale, le tribunal correctionnel n’avait pas d’autre choix que de prononcer la relaxe ».

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En rendant sa décision, le tribunal avait admis qu’elle serait « incomprise du peuple français au nom de qui la justice est rendue », alors que l’accusation avait requis de lourdes peines contre trois héritiers, leurs conseils et deux sociétés anglo-saxonnes de gestion d’actifs. « Un incroyable (au sens de peu commun) effort de pédagogie pour expliquer et justifier la décision de relaxe », disent M. Daoud et Mme de Tonquédec. En effet, l’exposé des motifs de « cette décision susceptible de heurter le sens commun », ainsi que l’avait qualifiée son auteur, le président du tribunal, Olivier Géron, avait duré une bonne heure.

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La chose était d’autant plus ­surprenante que le même président déclarait avoir la conviction que les Wildenstein, accusés de « fraude fiscale et blanchiment en bande organisée », avaient « clairement dissimulé le patrimoine, sur plusieurs générations, avec une claire intention d’évasion patrimoniale ». Cela dans des trusts, situés dans des paradis fiscaux. Une loi de finances votée en 2011 dit que de tels avoirs doivent être déclarés, notamment en cas de succession. Et c’est pour ne l’avoir pas fait lors de celle de son père Daniel, mort en 2001, et de son frère Alec, décédé en 2008, que Guy Wildenstein et ses coprévenus (son neveu, sa belle-sœur, deux avocats et un notaire – et ses deux sociétés financières abritant des trusts) sont poursuivis.

Des trusts fictifs

Les biens considérés sont variés, mais assez difficiles à estimer, d’autant qu’ils sont la propriété d’une cascade de sociétés – la procureure en a dénombré trente-trois – créées par les trusts, dans le but, selon elle, de dissimulation fiscale : un avion privé, revendu depuis, des immeubles à New York, évalués à 125 millions de ­dollars (113 millions d’euros), un ranch au Kenya, évalué par son ­neveu Alec « junior » (le fils d’Alec « senior ») à 10 millions de dollars, une île dans les Caraïbes, dont personne ne connaît la valeur exacte, et surtout des tableaux. Par exemple, 2 483 œuvres déposées dans le Delta Trust, dont 1 749 n’ont, semble-t-il, jamais été estimées…

Mais la loi de 2011 ne s’applique pas en l’espèce, les faits étant antérieurs. Les trusts étaient fictifs, proclamait l’accusation. Il y a de fortes présomptions que ce soit le cas, répondait le juge, mais pas de preuves, regrettant que les juges d’instruction n’aient pas pu investiguer comme ils l’auraient dû auprès des trusts, lesquels sont situés dans les îles Anglo-Normandes ou les Caraïbes, fort peu ­connus pour leur diligence en matière d’aide judiciaire internationale. Or, avait rappelé MHervé Temime, l’avocat de Guy Wildenstein, la règle d’un procès pénal, c’est que « la charge de la preuve est imputable au parquet, et la certitude doit être absolue. »