« Nous sommes en phase avec le texte de l’accord », a déclaré la ministre du travail Muriel Pénicaud. / ERIC FEFERBERG / AFP

Emmanuel Macron aurait-il entendu la menace à peine voilée de Laurent Berger ? D’une rare véhémence, l’entretien donné lundi 26 février par le secrétaire général de la CFDT aux Echos contenait un message on ne peut plus clair pour le gouvernement : « Si on nous piétine, il ne faudra pas ensuite venir nous chercher pour éteindre l’incendie », affirmait le leader syndical.

Comprendre : s’ils sont consultés et qu’ils donnent leur avis, les partenaires sociaux doivent être écoutés pour préserver la paix sociale. Un message entendu par le gouvernement qui a révélé, vendredi 2 mars, des choix bien proches de ceux sur lesquels s’étaient entendus, le 23 février, patronat et syndicats à propos de la réforme de l’assurance-chômage.

Dans un contexte social incertain – où l’étincelle allumée avec l’annonce de la réforme de la SNCF risque à tout moment de se transformer en incendie agrégeant tous les mécontentements du pays –, l’exécutif semble donc avoir choisi la voie de la conciliation. Poussé en cela par des partenaires sociaux qui avaient conditionné la signature de l’accord à sa reprise in extenso par le ministère du travail.

Pénicaud : « Chaque acteur doit être dans son rôle »

« Nous sommes en phase avec le texte de l’accord », a d’emblée déclaré, vendredi, Murielle Pénicaud, la ministre du travail dans un entretien au Parisien. Pour autant, elle prévient : « Nous discutons, mais pour avancer. Pendant plus de dix ans, le pays est resté dans une forme d’immobilisme alors que le monde a beaucoup évolué. Emmanuel Macron a été élu parce que les Français attendent du changement. (…) Nous sommes tous au service de l’intérêt général. L’Etat, le Parlement, le patronat et les syndicats. Et chaque acteur doit être dans son rôle. »

Dans les faits, le ministère du travail a donc ainsi décidé de garder une bonne partie des dispositions prévues par les partenaires sociaux, pour ce qui est de l’indemnisation des démissionnaires, des indépendants et enfin de la réduction des contrats courts.

Les démissionnaires d’abord. Pour toucher l’assurance-chômage, ces derniers devront présenter un projet à leur conseiller en évolution professionnelle. Si celui-ci est validé – les conditions, les critères et l’instance qui se chargera de la validation sont encore à préciser –, ils recevront alors leur indemnité pendant six mois, au bout desquelles aura lieu un contrôle. S’il est jugé que les efforts déployés pour leur projet sont suffisants, ils pourront continuer à toucher de l’argent dans les mêmes conditions de temps et de taux que le reste des demandeurs d’emploi. Donc, pas de durée limitée ou de taux de remplacement des salaires moins élevés comme le prévoyait au départ le document d’orientation du gouvernement.

Seule différence notable entre l’accord syndical et la copie gouvernementale : la durée d’affiliation. Les partenaires sociaux la voyaient à sept ans, le gouvernement la fait baisser à cinq ans, comme promis par M. Macron pendant sa campagne. « Pour la première fois, on va créer un droit pour ceux qui veulent mener un nouveau projet professionnel : créer son entreprise ou changer de métier. C’est un beau choix de société d’accompagner ceux qui ont un projet », a déclaré la ministre dans son entretien au Parisien.

FO : « Notre accord repris à 95% »

Les indépendants ensuite. Eux qui ne cotiseront pas un centime de plus devraient se voir allouer une indemnité de 800 euros pour seulement six mois. Seront concernés ceux qui auront mis leur activité en liquidation judiciaire et qui avaient un bénéfice annuel d’au moins 10 000 euros. « Cette mesure vise notamment les agriculteurs dont les défaillances d’exploitations ont continué d’augmenter en 2017, les artisans, les micro-entrepreneurs, les commerçants indépendants », explique la ministre.

Les indépendants économiquement dépendants comme les conducteurs de véhicules avec chauffeurs ou les livreurs de nourriture sur deux roues, ne sont pas concernés par la mesure. Leur situation doit cependant être bientôt évoquée, explique-t-on au ministère du travail. Elle sera, par ailleurs, tranchée dans le texte de loi contenant les détails de la réforme.

Enfin, la limitation des contrats courts, sera, comme le souhaitent patronat et syndicats, laissée à la charge des branches, qui devront négocier un accord avant la fin de l’année. Si elles échouent, elles se verront imposer un système de bonus-malus.

Communiqués aux partenaires sociaux dans la journée de jeudi, ces arbitrages ont été bien reçus par plusieurs centrales. « Pour l’instant on peut se satisfaire du fait que notre accord a été repris à 95 % », juge Michel Beaugas, négociateur pour FO. « C’est conforme à ce que nous avions négocié et tout à fait dans l’esprit de ce que nous voulions, se félicite pour sa part Véronique Descaq, numéro deux de la CFDT, ils mesurent qu’on ne peut pas mener des réformes qui tiennent la route en faisant fi du dialogue social. »

Inquiétude sur la formation professionnelle

Pour autant, poursuit la responsable syndical : « Nous demeurons méfiants sur la réforme de la formation professionnelle dont nous attendons les orientations. il ne faudrait pas que le gouvernement aille un coup à gauche, un coup à droite ».

Une inquiétude tout à fait justifiée, juge un leader syndical. « Il ne faut pas se leurrer, le respect de l’accord sur l’assurance-chômage n’est qu’une compensation pour ce qui va arriver lundi sur la formation professionnelle. Reprendre le premier n’engageait finalement pas beaucoup le gouvernement, il ne coûte rien, ils tiennent leurs promesses à moindres frais. Alors que l’accord trouvé sur le second est bien plus précis et son non-respect va faire bien plus mal aux partenaires sociaux. »

L’exécutif qui souhaite simplifier « la tuyauterie » de la formation professionnelle pourrait en effet, entre autres, retirer la collecte des fonds aux syndicats et au patronat.

En somme il ferait de la politique : donnant d’une main et reprenant d’une autre. Ce faisant, le gouvernement réduit, au passage, à la portion congrue, une mesure emblématique de la campagne du candidat Macron : l’indemnisation des démissionnaires et des indépendants. Car tel qu’il est conçu, le dispositif devrait à peine concerner plus de 29 000 indépendants et 35 000 démissionnaires.

« L’équation est simple, résume un fin connaisseur du dossier, l’assurance-chômage est bien moins transformatrice que la réforme de la formation professionnelle ou de l’apprentissage. La première permet de modifier le marché du travail, mais les secondes sont structurantes pour le gain en compétence et donc pour l’économie du pays. » Le message a donc peut-être été entendu, mais pas dans sa globalité.