Le ton est particulièrement glacial et la situation inédite : Canal+ a annoncé jeudi 2 mars qu’il coupait l’accès aux chaînes du groupe TF1 pour ses abonnés : sont concernées TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films, LCI et MyTF1. « Cette décision est le résultat de l’intransigeance du groupe TF1, qui abuse de sa puissance de marché, et notamment de son canal numéro 1 pour imposer unilatéralement à ses distributeurs, dont le Groupe Canal+, de payer pour continuer à diffuser ses chaînes disponibles gratuitement sur la TNT et sur Internet. »

Vendredi, TF1 a vivement réagi, dénonçant une « décision unilatérale ». Elle est « d’autant plus incompréhensible, selon un communiqué, que le groupe Canal + est autorisé à les diffuser, le groupe TF1 n’ayant jamais demandé à ce que ses chaînes et son service replay soient coupés, mais avait au contraire proposé une poursuite des négociations ». TF1 « déplore que les clients du groupe Canal +, qui payent pour recevoir les chaînes TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films, LCI et MyTF1 dans le cadre de leur abonnement, soient pris en otage ».

Ce conflit ouvert est le résultat d’un changement de stratégie de TF1, qui depuis l’arrivée de son nouveau PDG, Gilles Pélisson, fin 2015, a entrepris de faire payer les opérateurs pour la diffusion de ses chaînes. Après des mois de discussions, un accord a été trouvé avec Altice (SFR) et Bouygues Telecom (qui a le même actionnaire que TF1), mais pas avec Orange, ni Free (dont le fondateur Xavier Niel est actionnaire du Monde à titre personnel), ni Canal+, avec lesquels la situation s’envenime.

Négociations tendues

Les exigences financières de TF1 sont « déraisonnables et infondées, avec des conditions et un calendrier imposés unilatéralement », a dénoncé, jeudi soir, dans son communiqué la filiale de Vivendi, dirigée par Vincent Bolloré. Les demandes de TF1 passent d’autant moins bien auprès de Canal+ que ce dernier, en tant qu’acteur de la télévision payante, a des obligations particulières, notamment en matière de financement du cinéma.

« TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films et LCI occupent des fréquences nationales relevant du domaine public qui leur ont été octroyées gratuitement, argumente Canal+. Par ailleurs, TF1 bénéficie d’avantages réglementaires propres aux chaînes gratuites, dont la possibilité de diffuser en exclusivité des événements sportifs majeurs comme la Coupe du monde de football, qui doivent être accessibles à tous. »

Pour augmenter la pression, Canal+ a enclenché deux actions juridiques contre TF1. Selon son directeur général, Maxime Saada, cité par le Journal du dimanche, Canal+ réalise de « 15 % à 20 % de l’audience des chaînes gratuites ».

Stratégie de diversification

Du côté de TF1, Gilles Pélisson justifie cette stratégie par sa volonté de diversifier ses revenus, avec une moindre dépendance à la publicité, en mettant mieux en valeur « des contenus exceptionnels qui attirent les Français », s’est-il défendu le 16 février, lors de la présentation des résultats annuels. « C’est très important dans le futur modèle de TF1, à partir du moment où le fait de regarder la télévision via Internet se développe », a-t-il souligné, expliquant vouloir obtenir au total « plusieurs dizaines de millions d’euros ».

La filiale de Bouygues dit s’inspirer d’exemples étrangers, notamment des Etats-Unis et d’Europe de l’Est. De leur côté, Canal+ et les autres opposants à TF1 rétorquent que le prix payé par les distributeurs se répercute sur l’abonné. Selon eux, le système américain n’est pas comparable, car les distributeurs peuvent en contrepartie commercialiser eux-mêmes une partie de la publicité diffusée sur les antennes. Comme si Canal+ ou Orange pouvaient vendre une partie des spots de pub de TF1… Ces particularités du marché américain n’empêchent pas que les renégociations de contrats donnent régulièrement lieu à des coupures de signal temporaires.

Tout est question de principe… et de prix. Dans son offre et dans les accords passés avec Altice et avec SFR, la hausse des prix est compensée par l’ajout de services pour le visionnage de TF1 : avant-premières, diffusion en 4K (ultra haute définition) de certains programmes ou « start over » pour revenir au début d’un programme. TF1 aurait obtenu d’Altice le versement d’un peu plus de 10 millions d’euros par an. Et aurait, selon Le Figaro, réclamé un peu plus de 20 millions d’euros à Free et de 25 à 26 millions à Orange. Soit des hausses de prix plus importantes que celles réclamées par M6, qui a de son côté réussi à renégocier certains accords.

Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, a jusqu’ici refusé de signer un nouveau contrat avec TF1, et les services de « replay » qui permettent de revoir les chaînes du groupe en différé sont donc désormais coupés sur les box du premier opérateur français. Le contrat de Free arrive, lui, à échéance le 31 mars. « Les demandes de TF1 sont extravagantes ! Les discussions sont au point mort », a assuré son PDG, Maxime Lombardini, au Figaro, le 6 février.

Les distributeurs récalcitrants peuvent espérer peser davantage en durcissant les négociations au même moment. Si les chaînes de TF1 étaient coupées par plusieurs opérateurs, elles pourraient voir leur audience chuter. De son côté, le groupe de Gilles Pélisson escompte peut-être que les opérateurs télécoms veuillent trouver un terrain d’entente avant juin, afin de pouvoir bénéficier de la Coupe du monde de football, dont TF1 a le droit de diffuser certains matchs, en particulier ceux de l’équipe de France.