La Cour de cassation a  affirmé, par trois arrêts de février 2017, que la possibilité pour les cours d’assises de motiver le quantum d’une peine était exclue. / THIERRY PASQUET POUR "LE MONDE"

Emblème de la justice pénale, la cour d’assises et son jury populaire vont désormais devoir motiver la peine qu’ils infligent à un condamné. C’est une petite révolution qu’impose le Conseil constitutionnel dans sa décision du vendredi 2 mars.

Sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme et notamment une condamnation de la France en 2009, les cours d’assises ont été amenées à expliquer aux accusés les raisons pour lesquelles leur culpabilité est retenue. La réforme de 2011 a ainsi mis fin au principe selon lequel le jury populaire, émanation du peuple français au nom duquel la justice est rendue, n’avait pas à justifier ses décisions. Le piédestal sur lequel trônait la souveraineté absolue du jury avait déjà été brisé par la loi de 2000 sur la présomption d’innocence en instaurant des cours d’assises d’appel permettant de contester un verdict.

Depuis 2012, des feuilles de motivations sont rédigées au sujet des réponses apportées par le jury aux questions sur la culpabilité de l’accusé. Mais rien pour justifier la peine. La Cour de cassation a même affirmé, par trois arrêts de février 2017, que la possibilité pour les cours d’assises de motiver le quantum d’une peine était exclue.

Revirement des exégètes de la Constitution

Le Conseil constitutionnel a choisi cette fois de pousser le raisonnement jusqu’au bout. Une question prioritaire de constitutionnalité, soulevée par trois condamnés, est à l’origine de ce revirement des exégètes de la Constitution. Ils n’avaient rien trouvé à redire lors d’un premier examen, en 2011, de cet article 365-1 de du code de procédure pénale.

« Monsieur Ousmane K., acquitté en première instance pour un homicide qui lui était reproché, a été condamné par la cour d’assises d’appel à quinze ans, sans que la peine lui soit expliquée », a plaidé Hélène Farge, lors de l’audience du 13 février devant l’institution présidée par Laurent Fabius.

Autre cas soulevé par l’avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, celui de Kodjo B., condamné à vingt ans de réclusion criminelle. « Il n’a pas eu d’explication sur le quantum de la peine. En appel, elle a été aggravée à vingt-deux ans, sans que le moindre élément lui ait été donné pour en comprendre la raison. »

Selon l’avocate, cette situation est contraire au principe constitutionnel d’égalité puisque, pour une même peine d’emprisonnement, une personne condamnée par un tribunal correctionnel (qui juge les délits), aura un jugement dans lequel la sanction pénale est motivée. Selon elle, l’absence de motivation de la peine aux assises (qui jugent les crimes) constitue également une entrave aux droits de la défense.

Eric Dupond-Moretti, intervenant également dans cette procédure, a pris le cas de cet homme acquitté par la cour d’assises de Saint-Denis de La Réunion, condamné en appel à trente ans, puis jugé une troisième fois à la demande de la Cour européenne des droits de l’homme et condamné à douze ans. Ce qui fait dire à l’avocat pénaliste : « Zéro, trente, douze, etc., numéro complémentaire : le quatre ! Voilà l’état de notre législation, c’est insupportable. »

Avocat par ailleurs de Jérôme Cahuzac lors de son procès en appel, Me Dupond-Moretti a fait, devant le Conseil constitutionnel, la démonstration de l’intérêt de la motivation de la peine pratiquée par les juridictions correctionnelles : « Quand je suis condamné à trois ans de prison pour fraude fiscale, je connais les motivations du tribunal qui a fixé la peine, et je peux donc faire appel pour les contester. Le débat devant la cour d’appel peut ainsi se concentrer sur le quantum de la peine. » Ce qui s’est effectivement passé pour M. Cahuzac, qui sera fixé sur sa peine le 15 mai.

« Pour la culpabilité comme pour la peine »

Pour le Conseil constitutionnel, « le principe de l’individualisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. » Ainsi, peut-on lire dans la décision des sages, les jugements et les arrêts de condamnations doivent être motivés « pour la culpabilité comme pour la peine ».

L’institution de la rue de Montpensier censure ainsi l’article 365-1 contesté. Mais elle reporte l’effet au 1er mars 2019 pour donner le temps au législateur de réécrire la loi. Une abrogation pure et simple de cet article reviendrait à permettre de ne même plus motiver la culpabilité. Mais, sans attendre, chaque cours d’assises devra interpréter la législation actuelle comme lui imposant « d’énoncer dans la feuille de motivation les principaux éléments l’ayant convaincue dans le choix de la peine ». Une solution qui, par ailleurs, ouvre la voie au projet de réforme destiné à permettre de faire appel uniquement sur le quantum de la peine.