Bradley Wiggins est accusé d’avoir fait un usage détourné d’un puissant corticoïde afin d’améliorer ses performances. / Laurent Cipriani / AP

Attendu depuis plusieurs mois, le rapport de la commission d’enquête du Parlement britannique sur le dopage dans le sport a été publié lundi 5 mars. Et il est sans pitié pour le Team Sky, la meilleure équipe cycliste du monde, accusé noir sur blanc d’avoir contourné l’éthique – mais pas le code mondial antidopage – pour remporter le Tour de France 2012.

Si les 54 pages de ce rapport ne contiennent pas de révélation majeure, l’appréciation globale des pratiques du Team Sky frappe par sa franchise, après un an d’enquête parlementaire sur le sujet. Les parlementaires abordent aussi la question du dopage dans l’athlétisme et des défaillances de l’agence britannique de lutte contre le dopage.

Leurs conclusions s’appuient en particulier sur deux affaires : celle d’un médicament administré à Bradley Wiggins sur le Critérium du Dauphiné en 2011 et celle des autorisations à usage thérapeutique (AUT) délivrées au même Wiggins pour de la triamcinolone, un corticoïde. Notamment avant le Tour de France 2012, que l’Anglais a remporté.

« Le but était d’améliorer son rapport poids-puissance avant le Tour »

Les rapporteurs écrivent :

« Nous pensons que ce puissant corticoïde a été utilisé pour préparer Bradley Wiggins, et possiblement certains de ses équipiers, pour le Tour de France. Le but n’était pas de traiter un problème médical mais d’améliorer son rapport poids-puissance avant la course. »

Ils ajoutent :

« Dans ce cas, et contrairement au témoignage de David Brailsford [manager de l’équipe depuis sa création en 2010] devant la commission, nous pensons que le Team Sky a utilisé des médicaments, dans les règles de l’Agence mondiale antidopage (AMA), pour améliorer les performances de ses coureurs et non pour traiter un problème médical. »

Ces déclarations, assorties de la photo de Bradley Wiggins, ont fait la une de la presse britannique lundi.

Elles interviennent dans un contexte de doute autour des performances de Christopher Froome, quadruple vainqueur du Tour de France. Le Britannique a repris la saison cycliste alors que plane au-dessus de lui la menace d’une suspension pour un contrôle anormal au salbutamol, un broncho-dilatateur, sur le dernier Tour d’Espagne, remporté en septembre 2017.

L’attitude du Team Sky, qui a gardé le contrôle secret jusqu’à sa révélation par Le Monde et The Guardian en décembre dernier, est critiquée par le président de l’Union cycliste internationale, David Lappartient, par certains grands coureurs et par une partie de la presse britannique. La Sky a notamment négocié la participation de son coureur vedette au prochain Tour d’Italie, contre une forte somme d’argent selon la presse spécialisée, alors qu’elle était au courant de cette procédure antidopage.

Le manager de l’équipe Dave Brailsford, déjà fragilisé après avoir été porté aux nues par la presse britannique, va devoir répondre d’accusations graves concernant son équipe, qui revendiquait de gagner dans le respect de l’éthique.

« Les assertions du Team Sky, selon lesquelles les entraîneurs et les managers de l’équipe ignoraient en grande partie les méthodes de l’encadrement médical pour préparer les cyclistes aux plus grandes courses nous semblent incroyables et contradictoires avec le but originel de “gagner proprement” et de maintenir les plus hauts standards éthiques. (…) David Brailsford doit endosser la responsabilité des échecs que constituent les méthodes de préparation des coureurs du Team Sky et le scepticisme dévastateur entourant la légitimité des performances et des succès de son équipe. »

Accusations de détournement des corticoïdes

Le Team Sky a démenti les allégations de pratiques contraires à l’éthique. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

Cet appel, à peine voilé, à la démission de David Brailsford ne devrait pas être entendu par le Gallois, qui s’accroche à son poste contre vents et marées depuis les premières révélations visant son équipe, il y a un an et demi. En voici les principales :

  • Des patchs de testostérone, un produit interdit, ont été commandés en 2011 depuis le vélodrome de Manchester, à l’époque siège du British Cycling et Team Sky, et livrés au docteur Richard Freeman, médecin de l’équipe.
  • Bradley Wiggins a bénéficié d’AUT pour prendre un puissant corticoïde, la triamcinolone, par voie intramusculaire dans la préparation de trois grands tours qu’il entendait gagner. Parmi ceux-ci, le Tour de France 2012, en effet remporté par l’Anglais. Selon lui, il s’agissait de lutter contre des allergies au pollen.
  • Lors du Critérium du Dauphiné, en 2011, à deux semaines du Tour de France, l’équipe Sky a fait livrer depuis l’Angleterre un paquet dont le contenu a été administré par Richard Freeman à Bradley Wiggins. Pressée de questions, l’équipe Sky a affirmé dans un premier temps qu’il contenait un décongestionnant nasal autorisé mais même Richard Freeman ne soutient plus cette hypothèse, que les parlementaires jugent peu crédible.
  • S’il s’agissait en réalité d’un corticoïde, administré en course et sans AUT – comme les parlementaires le soupçonnent –, Bradley Wiggins aurait commis une infraction valant, à l’époque, deux ans de suspension.
  • Cinquante-cinq ampoules de triamcinolone ont été commandées par le Team Sky entre 2010 et 2013. Selon l’équipe, moins de 10 ont été administrées aux coureurs, le reste ayant permis de soigner des membres de l’encadrement de British Cycling et Sky.

Le rapport de la commission d’enquête britannique revient longuement sur l’utilisation des corticoïdes par le Team Sky et notamment Bradley Wiggins. Deux sources anonymes, à l’époque au fait des pratiques médicales du Team Sky, ont apporté des clés de lecture précieuses.

L’une affirme que les AUT « étaient utilisées de manière tactique par l’équipe pour soutenir l’état de santé d’un coureur dans le but final d’aider ses performances. (…) La gravité des allergies au pollen n’a jamais été évoquée [lors des réunions]. (…) En 2012, l’équipe était soumise à une forte pression pour être performante. Dave Brailsford et Shane Sutton [entraîneur principal] mettaient une grosse pression sur l’équipe médicale, en particulier Richard Freeman, pour qu’il soit plus proactif dans le soutien médical des coureurs. »

La deuxième source écrit qu’en 2012, Bradley Wiggins et un groupe réduit de coureurs s’entraînait séparément du reste de l’équipe et que chacun utilisait des corticoïdes en période d’entraînement pour s’assécher en vue des grands objectifs de la saison. Christopher Froome et Richie Porte, autre candidat à la victoire dans le prochain Tour de France, faisaient partie de cette petite équipe préparant la Grande boucle avec Bradley Wiggins.

Les aveux de l’entraîneur principal

« Ce que Brad faisait n’était pas éthique mais n’était pas contraire aux règles », a confirmé Shane Sutton aux parlementaires, tandis que Bradley Wiggins avoue pour la première fois avoir pris de la triamcinolone hors compétition.

Selon d’anciens coureurs dopés, des médecins et des spécialistes du dopage, la prise de triamcinolone en intramusculaire est un traitement très excessif pour des allergies au pollen mais permet de perdre du poids sans perdre de muscles et facilite la récupération.

Team Sky a immédiatement réagi dans un communiqué réfutant tout usage détourné de la triamcinolone.

Bradley Wiggins a écrit sur les réseaux sociaux :

« Je trouve très triste que des gens puissent être accusés de choses qu’ils n’ont jamais faites et qui sont présentées comme des faits. Je réfute vivement qu’un médicament ait été pris pour autre chose qu’un besoin médical. J’espère avoir mon mot à dire dans les prochains jours et pouvoir présenter ma version des faits. »

Dave Brailsford, Bradley Wiggins : les deux incarnations des succès du cyclisme britannique, anoblies par la Reine, sont désormais largement discréditées dans leur pays. La troisième, Christopher Froome, pédale en sursis.