Le cardinal George Pell quitte le tribunal, à Melbourne, lundi 5 mars. / HANDOUT / REUTERS

L’un des plus hauts responsables de la curie romaine sera-t-il jugé pour des « délits d’agressions sexuelles » ? C’est ce que devra décider la justice australienne à l’issue de quatre semaines d’audience qui ont débuté lundi 5 mars. Le cardinal George Pell, ancien archevêque de Sydney, nommé en 2014 ministre de l’économie du Vatican, comparaît devant un tribunal de Melbourne à la suite de son inculpation en juin 2017 pour des agressions sexuelles « anciennes » impliquant de « multiples plaignants ». Si la magistrate chargée du dossier conclut qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve contre lui, l’ecclésiaste sera jugé.

« Ces audiences, quoi qu’il arrive, sont importantes. Elles montrent que chacun, quel que soit son rang, peut désormais se retrouver confronté à la justice », estime Cathy Kezelman, présidente de la Blue Note Foundation qui soutient les personnes victimes d’agressions dans leur enfance. C’est un pas significatif après de longues années de silence sur les agressions sexuelles. »

Entre 1950 et 2010, 7 % des prêtres d’Australie auraient été visés par des accusations d’agressions sexuelles sur des mineurs sans que celles-ci fassent l’objet d’investigations, selon une commission d’enquête royale établie par le gouvernement australien en 2012. Cette dernière a conclu en décembre 2017 que, pendant des décennies, les principales institutions du pays – églises, écoles, orphelinats, clubs de sport – avaient « gravement manqué à leurs devoirs » de protection de l’enfance.

Redoutable équipe de défense

Si le cardinal Pell a été inculpé pour des actes qui auraient été commis il y a très longtemps, l’âge des victimes présumées et la nature précise des faits supposés n’ont pas été rendus publics. Le prélat de 76 ans a toujours clamé son innocence et entend profiter de la procédure judiciaire pour « laver son nom » : « L’idée même d’agression sexuelle m’est odieuse », avait-il déclaré en juin 2017.

La première partie des auditions entamées lundi sera consacrée aux témoignages des plaignants. Elles auront lieu à huis clos et dureront une quinzaine de jours. Au total, une cinquantaine de témoins devraient être convoqués. Ils feront face à la redoutable défense du cardinal Pell, dirigée par l’avocat Robert Richter. Ce ténor du barreau, qui a compté parmi ses clients Julian Knight, un tueur de masse, et Mick Gatto, une figure de la pègre melbournienne, est réputé pour ses contre-interrogatoires pointilleux.

M. Richter devrait notamment demander pourquoi les premières accusations contre le prélat n’ont été portées que de longues années après les faits supposés. Il devrait également se pencher sur la crédibilité des plaignants. Son équipe avait demandé à avoir accès à leurs dossiers médicaux, une requête qui lui avait été refusée par la justice. Elle avait en revanche obtenu gain de cause concernant sa demande de documents à la chaîne australienne ABC.

C’est en effet dans le programme télévisé « 7.30 » que des journalistes avaient révélé, en juillet 2016, l’existence de plaintes contre le cardinal et diffusé le témoignage de deux quadragénaires l’accusant, face caméra, d’attouchements sexuels dans une piscine alors qu’ils étaient enfants à la fin des années 1970. Un troisième homme affirmait qu’il se serait montré nu devant trois garçons dans le vestiaire d’un club de surf pendant l’été austral 1986-1987.

Protocoles

Peu après la diffusion de cette émission, la police avait confirmé, sans fournir de détails, enquêter sur le numéro trois du Vatican. En octobre 2016, trois officiers s’étaient rendus à Rome pour l’entendre. Inculpé en juin 2017, il a été mis en « congé » du Saint-Siège pour pouvoir rentrer dans son pays et se défendre. « On ne doit pas juger le cardinal avant que la justice juge, avait estimé le pape François dès juillet 2016. Une fois que la justice aura parlé, moi, je parlerai. »

En 2014, le pontife avait choisi cet Australien issu des rangs conservateurs de l’Eglise, énergique et réputé excellent gestionnaire, pour diriger le nouveau secrétariat à l’économie chargé de gérer les finances du Vatican. Cette nomination avait fait grincer des dents aux antipodes, où le nom du cardinal était déjà associé, de manière indirecte, aux affaires de pédophilie touchant l’institution.

Nommé en 1973 vicaire à Ballarat, une ville de l’Etat du Victoria, il y avait officié alors qu’y sévissaient cinq prêtres pédophiles. Il avait été accusé de s’être tu voire d’avoir protégé certains d’entre eux. Entendu trois fois par la commission d’enquête royale sur ces faits et sur son action en tant qu’archevêque de Melbourne, il a toujours nié avoir eu connaissance des crimes commis à Ballarat, et rappelé qu’en 1996 il avait été le premier à mettre en place des protocoles pour répondre aux problèmes de ce genre dans l’Eglise australienne.

Sa défense a annoncé en juillet 2017 qu’il plaiderait non coupable de toutes les charges retenues contre lui dans l’hypothèse d’un renvoi en procès.