C’est un projet qui hérisse l’opposition. Le gouvernement a l’intention de restreindre le droit d’amendement, dans le cadre de la réforme des institutions voulue par Emmanuel Macron. Le premier ministre Edouard Philippe l’a annoncé à plusieurs parlementaires lors des consultations qu’il mène à Matignon, depuis lundi 5 mars, autour de la future révision constitutionnelle.

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Alors que les principaux axes de la réforme sont connus depuis plusieurs mois (réduction du nombre de parlementaires, limitation des mandats à trois consécutifs, instauration d’une dose de proportionnelle aux législatives), la volonté de l’exécutif d’y inscrire un encadrement du droit d’amendement des parlementaires constitue une réelle surprise.

Concrètement, le gouvernement entend apporter deux modifications majeures, au nom d’une amélioration de « l’efficacité » du travail parlementaire. La première consiste à rendre irrecevable, lors de l’examen d’un texte en séance publique, le dépôt d’un amendement déjà rejeté en commission ou qui serait sans rapport avec le texte examiné. « L’idée est de mettre en place un contrôle automatique, avant l’examen d’un texte en séance, pour arrêter de discuter dix fois d’un même amendement », explique un parlementaire de La République en marche (LRM), à qui Edouard Philippe a présenté ce projet, confirmant ainsi une piste de réforme déjà évoquée dans Le Journal du dimanche.

« Mieux structurer le débat »

Autre mesure voulue par le gouvernement, potentiellement plus explosive : définir le nombre d’amendements pouvant être déposés par un groupe parlementaire, en fonction de sa taille. Ce nombre d’amendements serait attribué de manière proportionnelle en fonction du nombre d’élus. Autrement dit, un petit groupe d’opposition disposerait d’un nombre d’amendements largement inférieur au groupe majoritaire de LRM. « Notre projet s’inspire du temps législatif programmé pour prioriser les amendements discutés. L’idée étant de mieux structurer le débat autour de points forts, les plus politiques et les plus significatifs », explique Matignon. Défini dans une loi organique de 2009, le principe du temps législatif programmé limite le temps de parole pour chaque groupe lors de l’examen d’un texte.

« un petit groupe aurait un nombre d’amendements limité et un grand groupe de députés godillots pourrait disposer de centaines d’amendements »

Plusieurs responsables de l’opposition condamnent la volonté de l’exécutif de restreindre le droit d’amendement. Reçus par Edouard Philippe mardi matin à Matignon, le président du groupe communiste à l’Assemblée, le député André Chassaigne, et son homologue du Sénat, la sénatrice Eliane Assassi, dénoncent un « coup de force » contre la démocratie. Les responsables parlementaires communistes jugent « gravissime » d’instaurer un droit d’amendement proportionnel à la taille du groupe parlementaire. Avec un tel projet, « un petit groupe aurait un nombre d’amendements limité et un grand groupe de députés godillots pourrait disposer sans aucun doute de centaines d’amendements qu’ils ne défendront même pas en séance », a critiqué André Chassaigne. « Contingenter le droit d’amendement est une attaque frontale contre le pluralisme », a ajouté Eliane Assassi.

Le chef de file des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau, a déploré lui aussi sur Public Sénat un projet « proprement scandaleux » et « une atteinte grave à la démocratie parlementaire ». Même le chef de file des députés MoDem, Marc Fesneau, souligne que « le droit d’amendement est un droit individuel et constitutionnel ». « Même si son utilisation est parfois abusive, c’est un droit imprescriptible », souligne ce membre de la majorité.

« Nous passons des nuits à pinailler sur le budget »

Dans les rangs macronistes, le projet du gouvernement est au contraire salué, en étant perçu comme un moyen d’accélérer la procédure parlementaire et de limiter « l’obstruction » des groupes d’opposition. Le député LRM de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin se félicite ainsi qu’« une procédure de filtre [soit] envisagée pour supprimer les doublons d’amendements, entre commission et séance », afin d’aboutir à « une rationalisation du travail parlementaire » et de « renforcer son efficacité ». Depuis qu’ils ont passé plusieurs mois à examiner le budget, fin 2017, plusieurs députés LRM pestaient contre le temps passé dans l’hémicycle à examiner des amendements déjà présentés en commission. « On arrive au bout d’un système. Nous passons des nuits à pinailler ligne à ligne sur le budget, on fait tout deux fois – en commission et en séance », s’agaçait ainsi en novembre 2017 Amélie de Montchalin, députée LRM de l’Essonne et porte-parole de la majorité sur le budget.

le constitutionnaliste Didier Maus juge « pratiquement impossible de mettre en œuvre une telle disposition »

Mais l’application des mesures du gouvernement pose question. En particulier celle qui vise à interdire le dépôt d’un amendement en séance, déjà rejeté en commission. Interrogé par Le Monde, Didier Maus, professeur de droit constitutionnel à l’université Paul Cézanne Aix-Marseille, juge « pratiquement impossible de mettre en œuvre une telle disposition », au motif que cela empêcherait un député appartenant à une commission différente de celle où le texte de loi a été examiné de déposer son propre amendement. « Le principe d’égalité entre les parlementaires serait alors remis en cause », observe-t-il, ce qui serait contraire à l’article 44 de la Constitution, qui précise le droit d’amendement. De la même manière, le constitutionnaliste juge que l’instauration d’un droit d’amendement proportionnel à la taille du groupe parlementaire serait « anti-constitutionnelle car totalement contraire au principe de la liberté d’expression des parlementaires ». Enfin, note Didier Maus, « je ne vois pas où serait le fondement constitutionnel pour fixer le plafond d’amendements pouvant être déposés et qui serait légitime pour le fixer. »

Alors que le président du Sénat, Gérard Larcher, a engagé un bras de fer avec le président Macron sur la réforme des institutions, la volonté de l’exécutif d’encadrer le droit d’amendement risque de compliquer un peu plus les négociations. En janvier, Gérard Larcher avait jugé qu’attaquer ce droit « sacré » serait outrepasser l’une de ses « lignes rouges » (de même que limiter à trois le nombre de mandats consécutifs pour les élus locaux et les parlementaires et réduire le nombre de parlementaire).

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